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Conventions réglementées, quelle définition pour l'intérêt indirect ?

Lettre CREDA-sociétés 2018-16 du 17 octobre 2018

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Les juges du fond ont été censuré pour ne pas avoir recherché le dirigeant de la société preneuse n'avait pas un intérêt indirect à la conclusion d'un nouveau bail . Mais qu'est-ce que l'intérêt indirect à conclure une convention ? La proposition de définition formulée par la CCI Paris Ile de France en 2011 reste pertinente.

 

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Les dirigeants, les associés ou les administrateurs de sociétés anonymes sont fréquemment amenés à conclure avec leur société toutes sortes de conventions (à l’exclusion des conventions interdites mentionnées à l’art. L225-43 c. com.) : ventes, baux, prestations de services, prêts, contrats de travail, etc. Dans certaines circonstances, ces mêmes personnes peuvent parfois profiter, indirectement, d’une convention à laquelle elles ne sont pas parties.

Les dirigeants, les associés ou les administrateurs de sociétés anonymes sont fréquemment amenés à conclure avec leur société toutes sortes de conventions (à l’exclusion des conventions interdites mentionnées à l’art. L225-43 c. com.) : ventes, baux, prestations de services, prêts, contrats de travail, etc. Dans certaines circonstances, ces mêmes personnes peuvent parfois profiter, indirectement, d’une convention à laquelle elles ne sont pas parties.

La variété des conventions réglementées

Afin de prévenir les conflits d'intérêts qui pourraient en résulter et protéger l’intérêt social, le législateur a prévu une procédure, dite des « conventions réglementées », permettant aux différents organes de la société (conseil d’administration, conseil de surveillance, assemblée générale) de les contrôler (C. com., art. L. 225-38 s. et art. L. 225-86 s.). Sont visées les :

  • les conventions intervenant directement ou par personne interposée entre la société et ses dirigeants, administrateurs, ou un actionnaire disposant de plus de 10% des droits de vote. Et, si cet actionnaire est une société, les conventions visées sont celles intervenant avec la société qui la contrôle, au sens de l’article L. 233-3 C. com. ;
  • les conventions auxquelles ces mêmes personnes sont indirectement intéressées ;
  • les conventions intervenant entre la société et une entreprise, si les dirigeants de la société sont propriétaires, associés indéfiniment responsables ou dirigeants de l’entreprise cocontractante.

Sont, en revanche, exclues celles portant sur des « opérations courantes et conclues à des conditions normales » et celles conclues entre une société et ses filiales à 100 % (C. com., art. L. 225-39).

Les difficultés d’identification des « personnes indirectement intéressées »

En pratique, si l’identification des conventions évoquées aux 1er et 3ème tirets précédents reste relativement habituelle, il en va autrement de celles concernant les personnes « indirectement intéressées », plus rares mais aussi moins évidentes à déceler. Les dirigeants, administrateurs ou actionnaires les moins vertueux en tirent prétexte pour échapper à la procédure, tandis que les plus vertueux décident dans le doute de soumettre la convention au contrôle des organes pour couvrir tout risque d’irrégularité.

La Chambre de commerce et d’industrie de Paris a proposé une définition dans un rapport publié en 2011, selon laquelle pourrait être « considérée comme étant indirectement intéressée à une convention à laquelle elle n’est pas partie, l’une des personnes […] qui, en raison des liens qu’elle entretient avec les parties et des pouvoirs qu’elle possède pour infléchir leur conduite, en tire un avantage » (l'AMF, reprenant la définition, y ajoute « ou est susceptible d’en tirer un avantage »).

Quels éclairages récents dans la jurisprudence ?

Faute néanmoins de traduction dans la loi, ces critères de l’intérêt indirect restent à la main des magistrats (le régime des conventions réglementées fait l’objet d’ajustements dans le projet de loi PACTE, en raison de la transposition de la directive du 17 mai 2017, mais pour l’heure aucun amendement ne propose une définition de l’intérêt indirect).

Aussi faut-il se réjouir lorsque les juges sont appelés à manier la notion, comme dans cet arrêt rendu par la chambre commerciale de la Cour de cassation, le 16 mai 2018.

Une SA a conclu le 31 mars 2005, par le biais de M. Y, son président (devenu ensuite son directeur général délégué), un contrat de bail commercial avec une SCI portant sur un bâtiment appartenant à cette dernière (M. Y est associé, avec sa femme, de la SCI) réservant, au preneur, la possibilité d’y mettre fin à l’expiration de chaque période triennale. Plus tard, la SCI cède l’immeuble à une SARL, sous condition suspensive de résiliation amiable et anticipée du bail en cours entre la SA et la SCI. Concomitamment, un nouveau bail de 9 ans est conclu le 3 mai 2007 entre la SA (preneur du local cédé) et le nouvel acquéreur, avec faculté de donner congé uniquement à l’expiration de la deuxième période triennale (soit le 3 mai 2013).

La SA ayant donné congé le 12 février pour le 31 mars 2008 (en application du premier contrat de bail) et quitté les lieux le 12 août 2008, la SARL l’assigna en paiement des loyers courant, selon elle, jusqu’au 3 mai 2013 (en vertu du second contrat de bail). La SA lui oppose la nullité de ce bail pour violation de la procédure des conventions réglementées. La Cour d’appel d’Aix-en-Provence refuse de suivre ce raisonnement au motif que ce bail, connu des dirigeants de la SA, ne faisait pas partie des conventions réglementées. Elle est censurée par la Cour de cassation qui lui reproche de ne pas avoir recherché si le dirigeant de la SA n’était pas indirectement intéressé par la conclusion du bail litigieux.

Il faut reconnaître que le bail signé entre la SA et la SARL n’entrait ni dans le champ du 1er alinéa de l’article L. 225-38 du C. com. (il ne s’agissait pas d’une convention entre la SA et son dirigeant), ni dans celui du 3ème alinéa du même texte (la SA et la SARL n’avaient pas de dirigeants communs). L’analyse n’était toutefois pas complète, justifiant une censure pour manque de base légale : les juges du fond devaient vérifier si le dirigeant de la SA preneuse, qui était également associé de la SCI propriétaire des locaux cédés à la SARL, était indirectement intéressé à la conclusion du nouveau bail.

En soi, l’arrêt ne livre donc pas de nouvelles clés pour dire ce qu’est ou n’est pas l’intérêt indirect, au sujet des conventions réglementées : il appartient aux juges du fond de mener l’analyse. Dès lors, en quoi le dirigeant de la SA preneuse serait indirectement intéressé au bail conclu entre cette dernière et la SARL ?

Quelle efficacité de la définition proposée par la CCI Paris Ile de France ?

Si l’on applique la définition proposée par la CCI Paris, M. Y peut être qualifiée de personne « indirectement intéressée » :

  • il n’est pas partie à la convention visée : la convention visée est le bail conclu entre la SA et la SARL. M. Y n’est pas partie à ce contrat, celui-ci étant conclu entre la SA, preneur, et la SARL, nouvel acquéreur et nouveau bailleur ;
  • il entretient des liens avec les parties : M. Y. est, d’une part, directeur général délégué de la SA preneuse. Il est, d’autre part, associé de la SCI, laquelle a cédé à la SARL l’immeuble loué à la SA. Le lien avec la SARL est ici pour le moins indirect.
  • il possède des pouvoirs pour infléchir la conduite des parties : en qualité de directeur général délégué de la SA, M. Y avait le pouvoir de l’engager juridiquement dans la conclusion d’actes juridiques. Il a été à la manœuvre pour la conclusion des premiers baux avec la SCI, puis lors de la résiliation du dernier bail, et la conclusion du nouveau bail avec la SARL. S’agissant de la conduite de la SARL, les pouvoirs de M. Y sont indirects : c’est en tant qu’associé de la SCI, partie à l’acte de vente conclu avec la SARL, qu’il a pu proposer à l’acquéreur le montage critiqué, et s’engager, en qualité de directeur général de délégué de la SA, à ce que celle-ci conclue un nouveau bail. Il a de cette façon pu obtenir le consentement de la SARL à l’acte de vente.
  • il tire un avantage (ou est susceptible d’en tirer un avantage) : M. Y tire un avantage certain du bail conclu entre la SA et la SARL, celui-ci ayant conditionné la réalisation de la vente conclue entre la SCI – dont il est associé – et la SARL. En effet, la réalisation définitive de la cession de l’immeuble était conditionnée à la résiliation du bail en cours (entre la SA et la SCI), pour le remplacer par un nouveau bail. Le nouvel acquéreur de l’immeuble tenait à s’assurer de la présence d’un locataire dans les locaux acquis – au minimum pour 6 ans, compte tenu des règles de congé prévues – garantissant une source de revenus régulière. Sans cette condition, la SCI n’aurait probablement pas pu réaliser la vente. M. Y, associé de la SCI vendeuse, avait donc bien intérêt à ce que la SA, dont il était directeur général délégué, résilie le bail antérieur avec la SCI et conclue un nouveau bail avec la SARL, acquéreur des locaux.

Quoi qu’il en soit, il nous faut attendre la décision des juges du fond qui sera rendue par la cour de renvoi pour en avoir le cœur net. En outre, les choses sont loin d’être terminées puisque la nullité d’une convention réglementée n’est de toute façon encourue que si l’on peut démontrer l’existence d’une fraude ou si elle a eu des conséquences dommageables pour la société (C. com., art. L. 225-42). En l’occurence, les conséquences dommageables seront à chercher dans les conditions rigoureuses prévues dans le bail, dont l’obligation de s’engager pour six ans et de payer les loyers pour cette longue période sans pouvoir résilier. Entre temps, l’assemblée générale peut encore couvrir (ce qui paraît peut probable en l’espèce) cette nullité en régularisant l’opération par un vote (C. com., art. L. 225-42). A défaut d’obtenir l’annulation de la convention, la SA pourrait en dernier lieu tenter d’engager la responsabilité de M. Y (C. com., art. L. 225-41).

Tanguy ALLAIN
Maître de conférences en droit privé à l’Université de Cergy-Pontoise

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