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Expertise de gestion : une opération de gestion peut-elle émaner d'associés ?

Lettre CREDA-sociétés 2018-02 du 7 février 2018

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Faute de définition légale, il est revenu à la jurisprudence de dessiner les contours de l’opération de gestion. Dans un récent arrêt, la Cour de cassation rappelle que « la décision de l’assemblée des associés d’une SARL décidant de la vente d’un immeuble appartenant à cette dernière ne constitue pas une opération de gestion »

 

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L’expertise de gestion est un mécanisme propre à certaines sociétés – SARL (article L. 223-37 du Code de commerce) et sociétés par actions (article L. 225-231 du Code de commerce, applicable aussi aux SAS) – permettant aux associés de demander en justice la désignation d’un expert et de bénéficier ainsi d’informations sur une ou plusieurs opérations de gestion.

Faute de définition légale, il revient aux juridictions de dessiner les contours de l’opération de gestion. La décision de la chambre commerciale en date du 13 septembre 2017, bien que non publiée, offre une nouvelle opportunité pour identifier cette notion, parfois nébuleuse.

Un associé d’une SARL de travaux publics demande – et obtient – devant les juges du fond la désignation d’un expert de gestion afin d’apprécier l’opportunité de trois opérations qu’il conteste :

  • tout d’abord la vente d’un immeuble par la SARL à une SCI, étant précisé que ces deux sociétés avaient le même gérant ;
  • ensuite le projet de cession de la quasi-intégralité de l’actif social immobilier ;
  • enfin l’affectation des bénéfices de la SARL et notamment la mise en réserve systématique des bénéfices dans la réserve légale.

La Cour de cassation censure partiellement la décision d’appel ayant accordé l’expertise de gestion.

Elle affirme, d’une part, que si la décision de l’assemblée des associés d’une SARL de vendre un actif social immobilier ne constitue pas une opération de gestion au sens de l’article L. 223-37, il n’est pas soutenu que la vente émanait effectivement de l’assemblée générale.

D’autre part, elle censure au visa de l’article 455 du Code de procédure civile l’arrêt d’appel sur deux autres points. La chambre commerciale reproche à la cour d’appel de ne pas avoir répondu aux conclusions du gérant et de la SARL qui faisaient valoir que les décisions contestées ne pouvaient pas être qualifiées d’opérations de gestion. Les juges du fond n’ont en effet pas considéré en quoi le projet de cession d’immeubles, parce que statutairement soumis à la décision de l’assemblée des associés, n’était pas une décision de gestion. La cour d’appel n’a pas non plus répondu à l’argument avancé selon lequel l’affectation des bénéfices ne constitue pas une opération de gestion.

Bien que la décision de censure partielle porte sur des stricts points de procédure, l’arrêt attire l’attention en ce qu’il répond en creux à la question de l’influence des statuts quant à la qualification d’opération de gestion.

L'approche organique et l'influence des statuts sur la qualification d'opération de gestion

L’opération de gestion est un acte qui relève, selon une approche organique désormais bien ancrée dans la jurisprudence, de la compétence des organes de gestion, et non pas, selon une approche a contrario, de la compétence de l’assemblée des associés (Cass. com., 30 mai 1989, n° 87-18083 ; Cass. com., 12 janvier 1993, n° 91-12548 ; Cass. com., 25 septembre 2012, n° 11-18312). C’est bien ce raisonnement qui est adopté par la chambre commerciale dans sa décision, car il est réitéré que « la décision de l’assemblée des associés d’une SARL décidant de la vente d’un immeuble appartenant à cette dernière ne constitue pas une opération de gestion ».

 

Pour autant, la cour d’appel ayant accordé une expertise de gestion sur ce point est confortée, car le pourvoi ne soutenait pas en quoi la vente a été effectivement décidée par l’assemblée générale. De ce point peuvent s’évincer deux conséquences.

  • D’une part, les statuts peuvent influer sur la qualification d’opération de gestion et donc le champ d’application de l’expertise de gestion. En soumettant des opérations à la compétence de l’assemblée des associés, les rédacteurs des statuts peuvent les écarter de l’expertise de gestion. Ainsi, n’est pas une opération de gestion l’acte qui ressort légalement de la compétence de l’assemblée (Cass. com., 25 septembre 2012, préc.), mais aussi un acte qui incombe statutairement à l’assemblée. Mais encore faut-il que cet acte soit à proprement parler une décision.
  • Car, d’autre part, il ne suffit pas que l’assemblée délibère pour évincer l’expertise de gestion, encore faut-il qu’elle décide effectivement. C’est en cela que la chambre commerciale semble limiter l’hypothèse d’une expertise de gestion vidée de son sens par des statuts conférant des compétences étendue à l’assemblée des associés. Cette procédure ne peut donc être écartée lorsque l’assemblée se prononce a posteriori sur une convention par ailleurs déjà autorisée et conclue (voir, pour une convention réglementée : Cass. com., 5 mai 2009, n° 08-15313).

L'approche matérielle et la notion de décision prise par l'assemblée

La chambre commerciale semble adopter, au-delà d’une approche purement organique, une approche matérielle : si une délibération d’assemblée emporte l’exclusion de la qualification d’opération de gestion, il faut que cette délibération soit une véritable décision, et que l’assemblée se prononce effectivement, les organes de gestion accomplissant alors sa volonté. Ce qui explique que le pourvoi soit rejeté quant à la première décision évoquée, faute d’avoir soutenu que l’assemblée s’était véritablement prononcée a priori.

En conséquence, l’arrêt peut offrir une grille de lecture quant à l’identification de l’opération de gestion lorsqu’une assemblée intervient :

  • la décision approuvée a posteriori par l’assemblée serait une opération de gestion
  • la décision autorisée a priori par l’assemblée peut l’être, si l’assemblée n’a pas émis de souhait précis, se contentant d’orientation générale. Dans l’hypothèse inverse, la décision ne saurait être une opération de gestion et l’expertise de gestion ne saurait être demandée.

Ce critère matériel permettrait en outre de qualifier d’opération de gestion la décision prise par un dirigeant social en méconnaissance des statuts, et donc d’un pouvoir conféré à l’assemblée. En effet, la chambre commerciale s’intéresse dans cette décision plus à savoir qui a pris la décision, plutôt que de savoir qui aurait dû la prendre.

On peut donc penser que la cour de renvoi accueillera les prétentions de la société sur les deux autres décisions litigieuses, ayant fait l’objet de la censure :

  • en premier lieu, une expertise peut difficilement être accordée sur un projet de décision. Le critère de la matérialité impose en effet qu’il y ait effectivement une décision, et non pas une simple décision envisagée.
  • en second lieu, une expertise ne peut pas être obtenue pour une affectation des bénéfices, compétence de l’assemblée des associés selon le Code de commerce. En application du critère organique, ces décisions ne sauraient être déclarées opérations de gestion.

 

Matthieu Zolomian
Maître de conférences à l’université Jean Monnet

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