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Un pacte conclu pour la durée de vie d’une société est licite

Lettre CREDA-sociétés 2023-05 du 15 mars 2023

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Il résulte des articles 1134, alinéa 1er ancien et 1838 du code civil que la prohibition des engagements perpétuels n’interdit pas de conclure un pacte d’associés pour la durée de vie de la société, de sorte que les parties ne peuvent y mettre fin unilatéralement.

C’est la seconde fois en quelques mois que la Cour de cassation apporte des précisions essentielles sur la durée des pactes d’associés et, singulièrement, s’agissant de la prohibition des engagements perpétuels (Cass. 1ère civ., 25 janv. 2023, n° 19-25.478, FS-B). Elle a déjà jugé, pour un pacte conclu avant l’entrée en vigueur de l’ordonnance du 10 février 2016, que « les engagements perpétuels ne sont pas sanctionnés par la nullité du contrat mais chaque contractant peut y mettre fin à tout moment, sous réserve de respecter le délai de préavis contractuellement prévu ou, à défaut, un délai raisonnable » (Com., 21 sept. 2022, n° 20-16994 ; désormais, C. civ., art. 1210). L’arrêt du 25 janvier 2023, publié au Bulletin, formule une solution tout aussi essentielle pour la force obligatoire des pactes d’associés. Il énonce que le pacte conclu pour la durée de vie d’une société n’est pas constitutif d’un engagement perpétuel. Affecté d’un terme licite, ce pacte est donc à durée déterminée et ses signataires ne peuvent le dénoncer unilatéralement avant son échéance.

En l’espèce, 7 associés d’une SAS (un père, ses cinq enfants et une société HC) avaient conclu en 2010 un pacte dont la durée était calquée sur celle restant à courir de la SAS (soit 58 ans). La clause de durée du pacte prévoyait qu’à l’issue de cette première période, ce dernier serait tacitement renouvelé pour la nouvelle durée de la société éventuellement prorogée et qu’à l’occasion de chaque renouvellement, toute partie disposerait d’une faculté de dénoncer le pacte moyennant le respect d’un préavis de 6 mois. La clause stipulait enfin que le pacte lierait et bénéficierait aux héritiers, aux légataires, ayants droit, ayants cause de chacune des parties, et notamment leurs holdings familiales.

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En 2017, le pacte d’associés est résilié par le père et la société HC, et le 10 janvier suivant, par l’un des cinq enfants. En appel, la demande formulée par un autre des cinq enfants de voir la résiliation jugée irrégulière, et partant inefficace, est rejetée. Pour les juges aixois, la clause de durée du pacte constitue un engagement perpétuel dès lors qu’elle ne permet à ses signataires d’en « sortir », selon les cas, qu’à un âge avancé, entre 79 et 96 ans. Elle en déduit qu’une telle « durée excessive, qui confisque toute possibilité réelle de fin de pacte pour les associés, ouvre aux parties la possibilité de résilier le pacte à tout moment ».

L’arrêt est censuré au double visa des articles 1134, alinéa 1 ancien et 1838 du code civil. Selon la Chambre commerciale, statuant sur le moyen tiré de la perpétuité de l’engagement, bien que l’arrêt soit rendu par la première Chambre civile, il résulte de ces textes « que la prohibition des engagements perpétuels n’interdit pas de conclure un pacte d’associés pour la durée de vie de la société, de sorte que les parties ne peuvent y mettre fin unilatéralement ».


 Téléchargez la lettre Creda-Sociétés n° 2023-05 du 15 mars 2023

Lettre 2023-05

 

1. L’opportunité de la solution

Ce qui frappe tout d’abord, c’est la généralité de la solution, dont la formulation lui donne les atours d’un arrêt de principe. Mieux, les circonstances de l’espèce sont en ce sens, puisqu’étaient signataires du pacte des personnes physiques possiblement liées jusqu’à la fin de leur vie et auxquelles ledit pacte pouvait survivre. Or, en dépit d’un précédent qui ne semblait pas marquer une hostilité de principe à un engagement affecté d’une telle durée (Com. 20 déc. 2017, n° 16-22.099), l’hésitation sur la nature perpétuelle du pacte conclu par des personnes physiques pour la durée de vie de la société était permise. En particulier, une décision récente sous-entendait que l’appréciation du caractère perpétuel d’un pacte, fonction des circonstances et de la nature des engagements souscrits, dépend de ce que la partie concernée est une personne morale ou une personne physique (CA Paris, 15 déc. 2020, RG 20/00220).

Les doutes sont ici levés et l’arrêt sera accueilli favorablement en pratique. En effet, faute d’une position claire de la jurisprudence sur l’appréciation du caractère perpétuel des clauses indexant la durée du pacte sur celle de la société, une solution, peu satisfaisante, consistait pour les parties à retenir une durée pour le pacte de 5, 10, 15 ans, etc., avec clause de reconduction. Simplement, à chaque échéance, les parties se trouvaient confrontées au risque de sortie de l’une d’entre elles.

L’accueil réservé à l’arrêt sera d’autant plus favorable qu’il a été jugé que ne constitue pas un terme, même implicite (i.e. se référant à la durée de vie de la société), la clause selon laquelle les stipulations d’un pacte d’associés demeurent applicables aussi longtemps que ses signataires resteront ensemble associés. Sans qualifier expressément la clause (il n’est pas dit qu’il s’agit d’une condition), la cour d’appel, qui est approuvée par la Chambre commerciale, avait retenu que « la perte, par l’un ou l’autre des cocontractants, de la qualité d’actionnaire ne présente aucun caractère de certitude, quand bien même l’un ou l’autre peut-il à tout moment céder ses actions » (Com. 6 nov. 2007, n° 07-10.620,). Or, faute de terme stipulé au pacte, chaque partie dispose alors d’une faculté de résiliation unilatérale (rappr. Com. 20 déc. 2017, n° 16-22.099, précité, estimant « que la perte de la qualité d’actionnaire de ce dernier ne constitue pas un terme extinctif, mais une condition de validité de l’engagement dans le temps »).

2. La portée de la solution

La force obligatoire des pactes d’associés sort clairement renforcée de cet arrêt. En un sens, et c’est la raison du visa de l’article 1838 du Code civil, les hauts magistrats considèrent que si la société peut durer 99 ans et lier pour aussi longtemps les associés, pourquoi ne pas l’admettre pour un pacte d’associés ? De toute évidence, l’arrêt consacre une règle spéciale justifiée par la nature particulière du contrat qu’est le pacte d’associés. D’abord, le pacte crée des droits et obligations qui ont, en simplifiant, pour objet la société ou les titres de capital émis par elle. Ensuite, le pacte est un contrat périphérique et souvent complémentaire aux statuts ; il peut même être conçu comme un « accessoire » des statuts. Il convient donc d’éviter que sa force obligatoire, qui se trouve en partie dans la dépendance des statuts, soit désactivée par tout signataire au seul motif que sa durée est arrimée à celle de la société. En un sens, cet arrêt invite à considérer que si les stipulations d’un pacte ne doivent pas heurter l’ordre public sociétaire, il apparait opportun, à rebours, que certaines règles du droit des sociétés, par capillarité, lui profitent.

Un peu plus loin du sujet, rappelons qu’il a été admis que l’on prête à la sanction de certaines clauses d’un pacte d’associés conclus entre les associés d’une SAS la vigueur de celle des clauses statutaires (Com. 27 juin 2018, n° 16-14.097). Et on sait que l’articulation entre statuts et actes extrastatutaires n’est pas toujours aisée à opérer (par ex. Com. 12 oct. 2022, n° 21-15382). On saura donc gré à la Cour de cassation de livrer certaines clés de lecture, et au cas particulier, en matière de durée des pactes, une solution claire.

Pour autant, un blanc-seing n’est pas donné aux rédacteurs de pactes. D’une part, était en l’espèce réservée aux signataires une faculté de résiliation lors de chaque reconduction tacite du pacte, elle-même fonction de la prorogation de la durée de la société. Si une telle faculté n’écarte pas toujours la critique sur le terrain de la perpétuité (ex. Com., 11 mai 2022, n° 19-22.015), il ne semble pas douteux que le pacte qui serait renouvelé ou prorogé de façon illimitée ou indéfinie à la discrétion de l’une des parties seulement, encourrait le vice de perpétuité (ex. Civ. 3ème, 27 mai 1998, n° 96-15.774).

D’autre part, le libéralisme de la solution n’exclut pas, évidemment, l’assujettissement des engagements que contient le pacte à un test de licéité sur d’autres plans. On songe aux règles de l’ordre public du droit des contrats en général, et du droit des sociétés en particulier : clauses de non-concurrence, d’exclusivité, d’inaliénabilité, conventions de vote, clauses léonines, libre révocabilité des dirigeants, potestativité des engagements ou conditions, etc. Concrètement, les pactes restent exposés à la critique sur le terrain de la licéité de leur contenu. Simplement, il faudra fonder cette critique sur une autre cause que la seule conclusion du pacte pour une durée correspondant à celle de la société.

 

Julien Delvallée,
Maître de conférences en droit privé à l’Université Paris-Saclay

 

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