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La prescription quinquennale ne s’applique pas à la « clause réputée non écrite »

Lettre CREDA-sociétés 2019-09 du 12 juin 2019

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La solution retenue par la Cour de cassation renforce tous les textes qui retiennent le « réputé non écrit » comme sanction de la méconnaissance de leurs dispositions. Cela implique qu'on pourra trouver, dans des statuts d'une société ou dans des pactes d’associés, des clauses susceptibles d’être critiquées sans limitation dans le temps (Cour de cassation, 1ère chambre civile, 13 mars 2019, n° 17-23.169, F-P+B).

 

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Un arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 13 mars 2019 affirme, pour la première fois de façon aussi claire, que la sanction de la « clause réputée non écrite » n’est pas soumise à la prescription quinquennale (aujourd’hui prévue par l’article 2224 du code civil).

De façon surprenante, et cela a été relevé par les premiers commentateurs, l’arrêt n’a pas eu la plus large publication possible mais il aura néanmoins les honneurs des bulletins. En tout état de cause, quelle que soit sa diffusion, il présente beaucoup d’intérêts en droit des sociétés.

En effet, qu’il s’agisse des textes du droit commun ou du droit spécial des sociétés, la sanction de la « clause réputée non écrite » est devenue extrêmement fréquente. Pour autant, certains aspects de son régime juridique demeurent mal identifiés. L’arrêt contribue à éclairer ce dernier.

Une notion bien connue

En droit commun, d’abord, on songe aux clauses qui entravent, d’une façon ou d’une autre, l’exercice de l’action sociale (C. civ., art. 1843-5, al. 2), aux clauses léonines (C. civ., art. 1844-1, al. 2), mais aussi aux clauses statutaires contraires à une disposition impérative du droit commun des sociétés et dont la violation n'est pas sanctionnée par la nullité de la société mais par le « réputé non écrit » (C. civ., art. 1844-10, al. 2).

En droit spécial, ensuite, une rapide recherche permet de dénombrer une quarantaine de textes porteurs de cette sanction et qui touchent tous les aspects de la vie sociale : en matière de SNC (c. com., art. L. 221-7, L. 221-12, L. 221-13 et L. 221-16), de SCS (c. com., art. L. 222-9), de SARL (c. com., art. L. 223-14, L. 223-22, L. 223-26, L. 223-27, L. 223-28 et L. 223-30), de SA (c. com., art. L. 225-37, L. 225-44, L. 225-47, L. 225-85, L. 225-96, L. 225-106, L. 225-107, L. 225-113, L. 225-122 et L. 225-253) ou encore de SCA (c. com., art. L. 226-2). On trouve également cette sanction retenue par les textes relatifs aux valeurs mobilières (c. com., art. L. 228-24, L. 228-35-6, L. 228-45, L. 228-61, L. 228-68, L. 228-91) et parmi les dispositions communes aux diverses sociétés commerciales (c. com., art. L. 232-15, L. 235-6, L. 237-14 et L. 237-30). À tous ces textes, il faudrait ajouter ceux qui relèvent du droit des entreprises en difficulté ce qui allonge encore la liste (c. com., art. L. 611-16, L. 622-15, L. 622-29, et L. 641-12).

Enfin, il faut se souvenir que toute clause d’un pacte d’actionnaires qui priverait de sa substance l’obligation essentielle du débiteur encourt cette sanction (c. civ., art. 1170), de même que toute clause qui créerait, en dehors de l’objet et du prix, un déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des parties au pacte, sous réserve que ce dernier soit un contrat d’adhésion (C. civ., art. 1171). On pourrait encore mentionner la clause qui tenterait d’ôter au juge tout ou partie de son pouvoir face à une clause pénale (C. civ., art. 1231-5).

On le voit : la liste est longue et elle n’est pas exhaustive.

Omniprésente en droit des sociétés, la sanction du « réputé non écrit » n’en demeure pas moins obscure dans certains aspects de son régime.

Un régime mal identifié

Une question se pose singulièrement, et depuis longtemps : le « réputé non écrit » est-il une forme de nullité ? Relève-t-il, au contraire, de l’inexistence ?

Cette question n’est pas théorique : si on rattache le « réputé non écrit » à la nullité, l’action devient prescriptible. Si, au contraire, on rattache le « réputé non écrit » à l’inexistence, l’action devient imprescriptible. De façon simplifiée, l’enjeu du débat peut être exprimé en ces termes.

Les deux positions ont été défendues, et continuent de l’être, en doctrine.

  • Pour les uns, le « réputé non écrit » ne serait pas autre chose qu’une forme de nullité et devrait, par conséquent, être soumis à la prescription extinctive de droit commun.
  • Pour les autres, le « réputé non écrit » serait, au contraire, une sanction autonome qui échapperait, en cela, aux griffes de la prescription. Et, faute de délai de prescription applicable, c’est l’imprescriptibilité de la sanction qui devrait être retenue. En clair : selon cette analyse, la clause réputée non écrite pourrait être invoquée à tout moment de vie de l’acte qui comporte la clause.

Des arrêts relativement anciens étaient régulièrement invoqués au soutien de la seconde thèse : celle de l’imprescriptibilité (Cass. civ. 3ème, 1er avr. 1987 : Bull. civ. III, n° 69 ; civ. 3ème, 9 mars 1988 : Bull. civ. III, n° 54). Mais il était, semble-t-il, difficile, à la seule lecture de ces arrêts, de considérer que la Cour de cassation avait réellement pris position.

Les juridictions du fond, pour leur part, paraissaient assez divisées. Certaines refusaient d’accueillir la fin de non-recevoir tirée de la prescription (not. CA Versailles, 26 mai 2016, RG n° 15/07528). D’autres, comme la cour d’appel de Paris, avaient en revanche paru se rallier à la première thèse au motif qu’aucun texte ne prévoit « l’imprescriptibilité de l’action tendant à voir réputée non écrite une clause qui serait abusive » (CA Paris, 9 mars 2018, RG n° 16/02579 ; CA Paris, 9 mars 2018, RG n° 14/26101). La même juridiction avait pourtant, peu de temps auparavant, privilégié l’imprescriptibilité (CA Paris, 8 déc. 2016, RG n° 14/13605).

L’arrêt rendu le 13 mars 2019, par la première chambre civile de la Cour de cassation, semble trancher le débat en consacrant la seconde théorie, celle de l’imprescriptibilité :
« Mais attendu que c’est à bon droit que la cour d’appel a retenu que la demande tendant à voir réputer non écrites les clauses litigieuses ne s’analysait pas en une demande en nullité, de sorte qu’elle n’était pas soumise à la prescription quinquennale (…) ».
On observera que la Cour de cassation a opéré un contrôle « lourd » (« à bon droit ») qui intervient, rappelons-le, lorsque « la cour d’appel ne pouvait, à partir de ses constatations de fait, qu’aboutir à la solution retenue, sous peine de voir son arrêt cassé pour violation de la loi » (J.-F. Weber, « Comprendre un arrêt de la Cour de cassation rendu en matière civile »). La Cour de cassation paraît donc bel et bien prendre ici une position claire.

Si cette solution était maintenue, cela renforcerait tous les textes qui retiennent le « réputé non écrit » comme sanction à leurs dispositions.

Très concrètement, en droit des sociétés, cela implique qu’il peut y avoir, au sein des statuts et des pactes d’associés, des clauses susceptibles d’être critiquées sans limitation dans le temps.

Clément BARRILLON
Maître de conférences à l’université Paris-Nanterre

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