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La qualification de l’action de concert en droit français et droit allemand

Lettre CREDA-sociétés 2019-08 du 5 juin 2019

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L’action de concert est une notion essentielle du droit, mais délicate à caractériser ; un contentieux non négligeable des deux côtés du Rhin en témoigne.

 

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L’action de concert est une notion essentielle du droit, mais délicate à caractériser ; un contentieux non négligeable des deux côtés du Rhin en témoigne. L’action de concert consiste pour au moins deux actionnaires (sont visés ici les actionnaires d’une société par actions qui sont concernés pour l’essentiel par la notion d’action de concert) à unir leurs droits de vote pour influencer la politique de la société, voire pour en prendre le pouvoir.

Pour assurer une transparence des marchés financiers et de leurs acteurs, le droit encadre l’action de concert.

Les actionnaires de concert doivent ainsi déclarer le franchissement de certains seuils. En effet, les actionnaires ne doivent pas avancer masqués ou de manière occulte, en particulier lorsqu’ils envisagent de prendre le contrôle de la société. C’est pourquoi, afin d’offrir une porte de sortie aux actionnaires minoritaires en cas de changement de contrôle de la société, l’action de concert entraîne une assimilation réciproque des droits de vote des concertistes conduisant, en cas de dépassement de certains seuils, à des obligations de déclaration voire de dépôt d’une OPA. En cas de non-respect de ces obligations, les concertistes peuvent se voir privés de leurs droits de vote.

La source de l’action de concert se trouve dans le droit de l’Union européenne, qui fait coexister deux définitions distinctes :

Du fait de son origine communautaire, il existe d’importantes similitudes entre les définitions de la notion d’action de concert dans les États membres de l’Union européenne. Mais on peut relever des différences.

Les notions d’action de concert et d’accords ponctuels en droit allemand

En Allemagne, l’action de concert est définie :

Le législateur allemand s’est contenté d’utiliser pour l’essentiel la même définition de l’action de concert, à savoir un comportement concerté par rapport à une société sur le fondement d’un accord ou d’une autre manière portant sur l’exercice de droits de vote ou ayant comme objectif la modification durable et significative de l’orientation entrepreneuriale de la société.

Le droit allemand prévoit une exception concernant les accords ponctuels (« Vereinbarungen in Einzelfällen ») (§ 30, al. 2, phr. 1, demi-phr. 2 de la WpÜG, et § 34, al. 2, phr. 1 de la WpHG). A leur égard, la qualification d’action de concert est exclue de sorte que les parties à cet accord ne peuvent être considérées comme concertistes. Toutefois, les conditions de la mise en oeuvre de cette exception sont floues ; ce qui a suscité beaucoup d’interrogations et divisé la doctrine comme la jurisprudence.

Dans une décision rendue le 25 septembre 2018 (II ZR 190/17) par le Bundesgerichtshof, la Cour fédérale de justice, est venue préciser la définition de la notion d’action de concert et particulièrement celle de l’exception concernant les accords ponctuels. La Cour considère que, même si les deux actionnaires ont « dû s’accorder sur l’exercice du droit de vote en se mettant d’accord sur la révocation du président du conseil de surveillance et sur l’élection de nouveaux membres du conseil de surveillance, il s’agit (…), en tout état de cause, d’un accord ponctuel dans lequel une assimilation de droits de vote n’a pas lieu d’être ».

Pour arriver à cette conclusion, le Bundesgerichtshof adopte explicitement une approche formelle pour définir l’accord ponctuel : l’objectif poursuivi est atteint par une seule action de la part des concertistes, même si celle-ci aurait des conséquences durables sur la politique de la société. Dans cette décision très remarquée, le Bundesgerichtshof a également précisé la notion d’ « orientation entrepreneuriale de la société », et notamment ce qui pouvait être considéré comme un changement significatif d’une telle orientation. La Cour estime que les accords entre actionnaires ayant comme objectif le soutien de la politique mise en place par le directoire ne constituent pas un changement de l’orientation entrepreneuriale de la société.

L’approche différente de l’action de concert retenue en France

En France, le siège de la notion se trouve dans :

Or, le droit français ignore non seulement l’exception concernant les accords ponctuels, mais les juges français adoptent une autre approche de l’action de concert. Plusieurs affaires jugées sous l’empire du droit français auraient donc probablement trouvé une autre issue sous l’angle du droit allemand, à la lumière de la jurisprudence du Bundesgerichtshof.

Plus précisément, en droit français, une action de concert n’est pas qualifiée en partant du nombre d’opérations qui sont nécessaires pour atteindre l’objectif poursuivi par les concertistes. Les juges français caractérisent un concert au vu des effets qu’il déploie tant sur la politique de la société (la mise en place d’une politique commune des concertistes vis-à-vis de la société, une modification significative de la politique de la société n’étant pas exigée) que dans la durée, selon une appréciation matérielle du concert.

C’est notamment à l’occasion des arrêts Sacyr-Eiffage (CA Paris, 2 avr. 2008) et Gecina (Cass. com., 27 oct. 2009, n° 08-18.819, n° 08-17.782 et n° 08-18.779) que les juges français sont venus préciser la question de la durée du concert, même s’ils ne l’abordent pas sous le même angle que leurs homologues allemands.

La jurisprudence française semble distinguer l’accord « ponctuel » de l’accord « temporaire » ou « durable » pour exclure la qualification d’action de concert. Pour cela, elle se fonde sur la mise en place d’une politique commune et durable par les supposés concertistes.

Ainsi, dans l’arrêt Gecina, la Cour considère que l’accord constitutif d’un concert ne doit pas être ponctuel mais peut être temporaire. Selon elle, la politique commune des concertistes, consistant « à faire procéder à une suite d’opérations incluant le projet d’offre publique de rachat dans le dessein de réaliser la séparation de l’ensemble constitué par les sociétés Metrovacesa et Gecina par la répartition du patrimoine de ces deux sociétés au profit de deux groupes d’actionnaires distincts », est « par elle-même exclusive d’un accord ponctuel », peu importe « qu’elle ne soit mise en œuvre que de manière temporaire ». Tel n’est pas le cas, par exemple, lorsque les parties démontrent qu’elle n’ont pas pour objectif d’agir ensemble de façon durable vis-à-vis de la société, ou qu’elles concluent un accord dont les effets ne se prolongent pas au-delà de la signature de l’acte de cession. La valeur ponctuelle de l’accord n’est donc pas envisagée de la même façon par les juridictions française et allemande.

Des décisions plus récentes de la Cour de cassation en matière d’action de concert, et notamment celles rendues le 22 novembre 2016 (n° 15-11.063) et le 9 janvier 2019 (n° 16-14.727), s’inscrivent dans le sillage de cette jurisprudence.

Plus précisément, dans cette dernière affaire, trois actionnaires d’une société cotée s’étaient entendus pour désigner et faire élire au conseil de surveillance trois autres personnes préalablement choisies puis ont mis en oeuvre leur accord pour exercer leurs droits de vote à l'assemblée générale afin de poursuivre, au travers des trois personnes qu'ils avaient fait élire au conseil de surveillance, une politique commune concernant la gestion de la société.

La Haute juridiction estime que les juges du fond ont relevé l’existence d’un accordentre les intéressés et surtout ont établi la finalitéde cet accord, portant en l’espèce sur la mise en œuvre d’une politique commune vis-à-vis de la société. L’arrêt est moins convaincant sur l’appréciation du caractère contraignant de l’accord qu’en ce qui concerne la réaffirmation de son caractère durable. Mais surtout il adopte une conception très souple du concert de gestion, ce qui est critiquable.

Quoi qu’il en soit, l’objectif du législateur européen de rendre les marchés financiers plus transparents ne semble pas avoir été atteint, car cette différence d’approche de l’action de concert peut présenter des incertitudes, notamment pour les actionnaires de structures internationales. Une plus grande harmonisation de cette notion est donc souhaitable.

Katrin DECKERT
Maître de conférences à l’université Paris-Nanterre

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