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Sociétés anonymes : le directeur général délégué est un dirigeant de droit

Lettre CREDA-sociétés 2021-12 du 7 juillet 2021

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A l’occasion de la liquidation judiciaire d’une société, il est fréquent que le liquidateur cherche à engager la responsabilité pour insuffisance d’actif des dirigeants (de droit ou de fait) ayant commis des fautes de gestion (C. com., art. L. 651-2). La Cour de cassation, dans un arrêt rendu le 5 mai 2021 est venue justement préciser - pour la première fois semble-t-il - que les directeurs généraux délégués sont des dirigeants de droit.

 

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Les faits se présentent de façon tout à fait classique : trois sociétés d’exploitation hôtelière appartenant à un même groupe sont placées en redressement judiciaire en mars 2009. En janvier 2010, la situation ne s’améliorant pas, la procédure est convertie en liquidation. Trois ans plus tard, le liquidateur assigne deux directeurs généraux délégués, en leur qualité de dirigeants de droit, en responsabilité pour insuffisance d’actif. Condamné par la cour d’appel de Paris le 12 septembre de 2019, l’un d’entre eux forme un pourvoi.

Prenant appui sur les articles L. 225-53 et L. 225-56 du Code de commerce, la cour d’appel de Paris a en effet condamné le directeur général délégué à payer au liquidateur certaines sommes pour insuffisance d’actif, considérant qu’il avait la qualité de dirigeant de droit et qu’il avait commis des fautes de gestion.

Dans son pourvoi, le directeur général délégué prétend au contraire que ses pouvoirs, leur étendue et leur durée étaient déterminés par le conseil d’administration en accord avec le directeur général, et qu’il exerçait auprès de lui une mission d’auxiliaire. Ainsi subordonné au directeur général, il ne pouvait pas se voir appliquer la qualité de dirigeant de droit.

Pour trancher la difficulté, la Cour de cassation devait donc vérifier si un directeur général délégué pouvait revêtir la qualification de dirigeant de droit, nécessaire pour pouvoir engager sa responsabilité en cas de fautes de gestion ayant contribué à l’insuffisance d’actif.

Les juges répondent de façon très claire. Ils considèrent que le directeur général délégué d’une société anonyme, qui est chargé d’assister le directeur général et dispose de pouvoirs dont l’étendue est déterminée par le conseil d’administration, a la qualité de dirigeant de droit au sens de l’article L. 651-2 du Code de commerce. De la sorte, il engage bien sa responsabilité pour les fautes de gestion commises dans l’exercice des pouvoirs qui lui ont été délégués.

Un préalable : la notion de dirigeant de droit

L’article L. 651-2 du Code de commerce fait supporter sur les dirigeants, de droit et de fait, une responsabilité pour insuffisance d’actifs en cas de faute de gestion. Lorsque ce texte est invoqué devant les tribunaux, la discussion porte souvent sur la détermination des dirigeants de fait, car cela implique une analyse très fine de la situation : il faut démontrer l’exercice en toute liberté et indépendance, de façon continue et régulière d’activités positives de gestion et de direction de la société (v. par ex. Cass. com., 10 janv. 2012, n°10-28067).

Lorsqu’il s’agit d’engager la responsabilité d’un dirigeant de droit, la discussion est en revanche moins délicate. Il s’agit en effet d’identifier les dirigeants légaux voire statutaires pour lesquels des pouvoirs sont spécifiquement attribués (pouvoirs de gestion, pouvoirs de représentation) et ayant fait l’objet d’une désignation régulière par les organes compétents ou par les statuts.

On avait ainsi peu de doutes concernant les directeurs généraux, les président du conseil, les membres du directoire, les administrateurs, les autres dirigeants de SAS, etc. Les choses méritaient peut-être d’être définitivement précisées concernant les directeur généraux délégués, qui existent en droit français depuis la Loi NRE du 15 mai 2001.

Le directeur général délégué, bien plus qu’un simple assistant subordonné

Lorsqu’on lit l’article L. 225-53 du Code de commerce, on pourrait avoir un doute sur la qualité de dirigeant de droit du directeur général délégué.

D’une part, il existe un lien direct entre le directeur général et son délégué : si c’est le conseil d’administration qui le nomme, c’est seulement sur proposition du directeur général. Pas de proposition ; pas de nomination. On ajoutera d’ailleurs que le directeur n’est révocable par le conseil d’administration que sur proposition du directeur général, ce qui confère quand même un lien très étroit entre les deux organes (C. com., art. L. 225-55). De même, l’étendue et la durée des pouvoirs est déterminée par le conseil d’administration, en accord avec le directeur général (C. com., art. L. 225-56 II) : pas d’accord, pas de pouvoirs. D’ici, pour le directeur général délégué à se sentir redevable ou à tout le moins dépendant et donc subordonné, il n’y a qu’un pas qu’il est facile de franchir.

D’autre part, le texte précise que le directeur général délégué est nommé pour « assister le directeur général ». La notion d’assistance semble limiter les fonctions du directeur général délégué à des missions étroites voire inférieures hiérarchiquement au directeur général, qui se décharge de certaines de ses fonctions. C’est d’ailleurs cet aspect que n’a pas manqué de soulever le demandeur au pourvoi, expliquant qu’il n’était qu’un « auxiliaire » « subordonné » au directeur général.

Ces arguments ne peuvent toutefois prospérer.

En premier lieu, la mission d’ « assistance » est contrebalancée par l’étendue des pouvoirs que la loi confère au directeur général délégué vis-à-vis des tiers. En effet, l’article L. 225-56 du Code de commerce prévoit qu’il dispose, à l’égard des tiers, « des mêmes pouvoirs que le directeur général », c’est-à-dire « des pouvoirs les plus étendus pour agir en toute circonstance au nom de la société » (C. com., art. L. 225-56) et des pouvoirs de représentation de la société. Il y a là une précision permettant de considérer qu’il dispose d’une réelle autonomie. Ainsi, puisqu’il est capable d’engager la société vis-à-vis des tiers et de la représenter, il doit être considéré comme un dirigeant de droit, responsable des décisions de gestion qu’il est en mesure de prendre, concurremment avec le directeur général.

En second lieu, on peut noter avec intérêt l’emploi très fréquent de la formule « le directeur ou un directeur général délégué » dans les textes, qui témoigne de la volonté du législateur de placer ces deux organes sur un pied d’égalité (v. par ex. C. com., art. L. 225-54). Cette identité de régime entre les deux acteurs et leurs fonctions s’observe aussi au stade de la responsabilité pénale (C. com., art. L. 248-1).

Enfin, concernant l’étendue et la durée des pouvoirs, certes le directeur général donne son accord et est susceptible d’exercer un droit de veto. Mais une lecture rigoureuse du texte invite aussi à considérer que c’est bien le conseil d’administration qui détermine cette étendue et cette durée. Le directeur général délégué est donc bien, de ce point vue, un mandataire social et un organe social, qui procède du conseil d’administration.

Ainsi, la désignation en qualité de directeur général délégué ne doit pas tromper les heureux élus : ils sont bien des dirigeants de droit. Ils disposent alors des pouvoirs liés à la fonction, et ils doivent naturellement en assumer les responsabilités associées. Par conséquent, et au-delà de la seule affaire de l’espèce, toutes les fois où le législateur vise un « dirigeant de droit », le directeur général délégué doit se sentir concerné.

La nécessité de démontrer une faute de gestion ayant contribué à l’insuffisance d’actif

C’est une chose déjà importante de préciser que le directeur général délégué est un dirigeant de droit engageant sa responsabilité pour insuffisance d’actif. C’est en une autre de parvenir à lui faire supporter effectivement le comblement du passif. Pour condamner un directeur général délégué au titre de l’article L. 651-2 du Code de commerce, les juges doivent observer que l’insuffisance d’actif qu’ils ont constatée est le résultat des fautes de gestion de ce dirigeant.

Or, en l’espèce la Cour de cassation sanctionne les juges du fond qui, certes, avaient bien établi l’existence de fautes de gestion et reconnu la qualité de dirigeant du droit. Mais ils n’avaient pas précisé le montant de l’insuffisance d’actif. Il appartiendra à la cour d’appel de renvoi de faire ce travail.

A ce sujet, et en tant que dirigeant de droit, le directeur général délégué pourra alors se prévaloir des exceptions offertes par les textes et tenter, par exemple, de se défendre sur le terrain de la « simple négligence ». Il trouvera également une échappatoire en démontrant que les fautes de gestion dont il est question relèvent en fait de la direction générale et non des missions qui lui ont été confiées. Autant dire que les missions confiées au directeur général délégué par le conseil d’administration et leur articulation avec celles relevant des pouvoirs de la direction générale vont être analysées scrupuleusement.

Est-il possible de limiter la responsabilité du directeur général délégué ?

A la suite de cette décision, il est certain que nombre de directeurs généraux délégués vont chercher à se protéger et limiter leur responsabilité

On peut naturellement penser aux limitations statutaires. Possibles pour le président ou le directeur général, on peut supposer qu’elles soient aussi possibles pour les directeurs généraux délégués. Toutefois, si de telles clauses pourront limiter les missions et limiter les risques de responsabilité, elles ne permettent pas d’échapper totalement à la responsabilité propre à tous les « dirigeants de droit ».

Il faut observer aussi que le directeur général délégué ne tient pas ses pouvoirs de la loi, mais d’un organe, qui va les délimiter. C’est ce que rappelle la Cour de cassation lorsqu’elle indique que le directeur général délégué engage de responsabilité pour les fautes de gestion commises « dans l’exercice des pouvoirs qui lui ont été délégués ». En effet, l’étendue des pouvoirs confiés au directeur général délégué est déterminée par le conseil d’administration avec l’accord du directeur général (C. com., art. L. 225-56 II). Aussi, les fautes de gestion susceptibles d’entrainer une insuffisance d’actif ne devraient être que celles en lien avec les pouvoirs qui lui ont été confiés. Autrement dit : plus les pouvoirs confiés au directeur général délégué sont importants plus sa responsabilité est grande. Et inversement. Ainsi, lorsqu’il prend ses fonctions, un directeur général délégué doit prendre la mesure des pouvoirs qui lui sont attribués et comprendre qu’il assume la responsabilité qui lui est associée. Il est intéressant d’observer qu’en matière pénale, l’article L. 248-1 du Code de commerce, qui transpose aux directeurs généraux délégués les dispositions applicables aux directeurs généraux , précise « selon leurs attributions respectives ». L’idée est tout à fait similaire.

Tanguy ALLAIN
Maître de conférences, Université de Rennes I

 

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