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Les modèles d'affaires à l'aune de la sobriété

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Des facteurs conjoncturels (inflation, guerre en Ukraine, crise énergétique, etc.) associés à l'urgence climatique conduisent à questionner la perspective d’une exigence de sobriété qui s’étendrait au-delà de l’énergie, de l’eau ou encore du foncier. En donnant écho aux expériences des entreprises qui explorent cette sobriété sur leur chaîne de valeur et en sollicitant un champ diversifié de sources et de connaissances, cette étude prospective se veut une contribution objective à la recherche de solutions pragmatiques par les entreprises dans leur quête de soutenabilité.

Le GIEC l'a récemment rappelé, dans son 6ème rapport : la trajectoire définie pour lutter contre le réchauffement climatique sera difficile à tenir sans sobriété (”ensemble de mesures et de pratiques quotidiennes qui permettent d'éviter la demande d'énergie, de matériaux, de terres et d'eau tout en assurant le bien-être de tous dans les limites de la planète”).

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Etude sobriété

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L’étude de la CCI Paris Ile-de-France vient éclairer les démarches de sobriété mise en oeuvre par les entreprises sur leur chaîne de valeur, ce qui peut aller jusqu'à remettre en cause leur modèle d'affaires. Cependant, il ne saurait y avoir sobriété sans une appropriation plus large par un récit collectif à l’attention de tous les acteurs, un travail sur la manière dont les humains comprennent leurs besoins, une interrogation sur la question du “quoi produire ?” et un élargissement des référentiels comptables à la dimension environnementale.

Pourquoi la sobriété est-elle de plus en plus incontournable ?

Les leviers liés à la consommation ne suffisent pas dans l’action climatique

Quoi qu'on en dise, les actions au niveau de la consommation resteront insuffisantes : non que la responsabilisation du client soit impossible - loin s'en faut - mais elle ne devrait concourir qu'à un quart des efforts selon les calculs de l’Université de Trondheim (Norvège) si tout le monde est parfaitement vertueux.

L’affichage environnemental, les labels, les “nudges” (outils ou astuces visant à modifier en douceur les comportements), les incitations financières, le rôle de prescription des influenceurs ou encore les actions en justice ne sont donc qu’une partie du chemin d’autant que l’inflation ou les injonctions contradictoires peuvent éloigner les consommateurs des préoccupations environnementales.

Les logiques économiques ayant conduit au dépassement des limites planétaires subsistent

  • D’une part, la “commoditisation” au sens où les biens sont accessibles à des prix faibles et sans forte différenciation ne reflète pas leur véritable valeur économique et environnementale.
  • D’autre part, l’approche par les volumes, qui a été rendue possible en externalisant les systèmes de production dans des pays à faibles coûts, apporte elle-aussi des pertes économiques et environnementales.

Or, ces deux logiques sont encore prédominantes et viennent illustrer la nécessité de trouver les leviers qui permettent d’agir sur toutes ces dimensions. C’est le propre du modèle d’affaires soutenables de cibler les interdépendances entre toutes ses dimentions.

Toutefois, ces modèles soutenables tels que catégorisés ici en 7 familles présentent des limites

7 familles de modèles
 

Nombre de ces modèles peuvent présenter des externalités négatives difficiles à mesurer dans un premier temps. Par ailleurs, certains modèles, outre qu’ils génèrent un effet rebond (direct ou indirect), n’opèrent qu’un découplage relatif de la croissance avec la consommation de ressources car ils ne se départissent pas d’une logique volumique. D’autres s’attachent surtout à l’usage et à l’après-usage (réparation, recyclage) mais l'amont est insuffisamment interrogé. D’autres, enfin, apparaissent moins comme une refonte du modèle que comme un verdissement du modèle.

On comprend que, si ces modèles vont dans le bon sens et montrent la voie aux entreprises qui sont encore dans des modèles linéaires, il faut aller plus loin : travailler sur leurs externalités négatives et en réduire les effets rebond, rechercher des solutions ou des modèles plus pertinents (à l’instar de l’économie régénérative) et, in fine, associer ces modèles à une logique de sobriété sur tous les maillons de la chaîne de valeur.

L’idée de développer la sobriété à une échelle plus large commence à faire son chemin. Elle est déjà débattue dans les usages numériques par exemple. Un nombre croissant d’entreprises viennent aujourd’hui l’explorer sur différents maillons de leur chaîne de valeur.

La chaîne de valeur passée au crible de la sobriété

De la conception au recyclage, en passant par la fabrication ou la relation-client, de plus en plus d’étapes de la chaîne de valeur sont passées au crible de la sobriété.

Plusieurs voies se dégagent que l’on peut synthétiser dans le schéma ci-dessous. À défaut de pouvoir recenser toutes les démarches inspirantes et de bon sens explorées par les entreprises, on peut en citer ici quelques-unes.

 
Axes sobriété
 

Que retenir de ces explorations ?  

5 enseignements à tirer

  • Tout d’abord, il faut laisser du temps au temps aux entreprises : la sobriété est un long chemin mais cela n’empêche pas de se fixer des objectifs intermédiaires de moyen terme.
  • Ensuite, il n’existe pas de recette miracle ou de modèle unique. Chaque entreprise trace sa voie avec ses spécificités, ses valeurs, ses aspirations, son écosystème, etc.
  • Dans tous les cas, on ne saurait justifier d’une taille minimale pour devenir sobre comme le montrent les entreprises identifiées. La sobriété est un chemin que peuvent emprunter toutes les entreprises, quelle que soit leur taille.
  • Autre constat, la sobriété est, parfois, atteinte par des voies indirectes. Ainsi, les industriels qui s’orientent vers l’approche Karakuri Kaizen (ou savoir-faire empirique) qui le font pour des questions de productivité atteignent indirectement des objectifs de sobriété.
  • Enfin, la sobriété peut être recherchée dans les opportunités adjacentes, “celles qui sont à portée de main, peu éloignées de ce que l’entreprise connaît ou sait faire”.

Implications de la sobriété sur le modèle d’affaires

Inutile de dire que ce chemin vers la sobriété est tout sauf un long fleuve tranquille.

D’une part, il peut remettre largement en cause le modèle d’affaires de l’entreprise. Or, une telle transformation est généralement ce qu’il y a de plus complexe. De fait, le nombre d’entreprises qui transforment réellement leur modèle d’affaires reste modeste : qu'il s'agisse de grands groupes ou de PME-ETI, peu comptent sur une transformation de leur modèle pour réduire leur empreinte carbone (10% des PME-ETI selon le sondage OpinionWay pour CCI France de mai 2022). Un ensemble de collectifs vient aujourd’hui aider à prendre conscience de la nécessité de transformer les modèles d'affaires : Convention des entreprises pour le climat (CEC), Le grand défi des entreprises pour la planète notamment.

D’autre part, expérimenter la sobriété sur sa chaîne de valeur est pour les entreprises une démarche plus ou moins inédite.

Celles-ci doivent, en effet, s’assurer de ne pas créer de nouveaux problèmes en essayant de résoudre le changement climatique, fonder des modèles multi-acteurs pour appréhender les externalités négatives, trouver de nouveaux indicateurs pour piloter leur performance ainsi que de nouvelles métriques pour évaluer leur impact. La Chaire “Orchestrating sustainable business transformation" a été justement créée, en avril 20203, par Nexans, HEC Paris et la Fondation HEC pour développer la recherche autour des outils de pilotage de la transformation durable.

Enfin, cette démarche justifie souvent de sortir de sentiers battus en explorant des concepts comme la prospérité, l’a-croissance, la post-croissance, etc.

Herman Daly avait déjà remis à jour, dans les années 1990, la question des modèles d’affaires stationnaires (“steady-state business models”) ou à croissance nulle qui rompent avec le croître pour croître à partie du concept d’état stationnaire (“steady-state economy”).

Des entreprises sobres et prospères : vers un nouveau mantra ?

Les entreprises qui s’orientent vers la sobriété font figure de “premier entrant” – ce qui n’est pas sans avantage en termes de différenciation sur le marché. Toutefois, outre le fait qu’elles doivent évangéliser le marché, elles se heurtent aussi à un environnement fait de métriques éloignées ou contraires à leur démarche : les systèmes de financement, de comptabilité ou de valorisation boursière n’étant pas forcément orientés vers les ressources immatérielles ou des durées d’amortissement longues...

Au demeurant, un nombre croissant d’entreprises viennent illustrer la compatibilité de la sobriété avec la performance. Certaines adoptent une approche par la valeur au lieu de celle par le volume ; d’autres répercutent sur toute la chaîne les économies réalisées sur certains maillons grâce à la sobriété ; d’autres enfin, posent les jalons d’une forme de prospérité. Il se pourrait bien que ces entreprises qui explorent ces nouvelles approches soient, plus rapidement qu’on ne le pense, le nouveau mantra.

Auteur : Corinne Vadcar

juin 2023

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