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Imprévision et instruments financiers : conformité à la Constitution de l’article L. 211-40-1 du Code monétaire et financier

Lettre CREDA-sociétés 2023-11 du 21 juin 2023

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L’article L. 211-40-1 du code monétaire et financier, qui exclut du domaine de la révision pour imprévision les obligations résultant d’opérations sur titres et contrats financiers, ne porte pas atteinte au principe d’égalité devant la loi.

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Par sa décision n° 2023-1049 QPC du 26 mai 2023, le Conseil constitutionnel déclare conforme à la Constitution l’article L. 211-40-1 du Code monétaire et financier selon lequel « l'article 1195 du code civil n'est pas applicable aux obligations qui résultent d'opérations sur les titres et les contrats financiers mentionnés aux I à III de l'article L. 211-1 du présent code ». Sont donc exclues de la révision pour imprévision légale, sauf aux parties d’en décider autrement (sans forcément « embrasser » le régime de l’article 1195), toutes les obligations résultant d’opérations sur instruments financiers. Corrélativement, demeurent assujetties à l’article 1195 les opérations portant sur les droits sociaux non négociables, en particulier sur les parts sociales, sauf aux parties d’écarter son application en tout ou partie. Si le résultat auquel conduit cette décision peut être approuvé, les parties étant incitées à se saisir de la question du changement imprévisible des circonstances concernant leur relation contractuelle, sa motivation est en revanche plus discutable.

A l’origine de cette décision, un contentieux engagé par une société bénéficiaire d’une promesse de cession d’actions qui, pour en obtenir la résolution, invoquait l’article 1195 et qui, confrontée au refus des cédants lui opposant l’article L. 211-40-1, soutenait que cet article générait une rupture d’égalité devant la loi.

La QPC, jugée suffisamment sérieuse pour être renvoyée devant le Conseil constitutionnel (Cass. com., 15 mars 2023, n° 22-40.023, v. Lettre Creda 2023-09), reposait sur deux arguments. D’abord, rien, au vu de l’objet de l’article L. 211-40-1, à savoir assurer la sécurité juridique d’opérations portant sur des biens et droits dont la valeur est susceptible d’évolutions rapides et importantes, en fonction d’événements imprévisibles, ne justifierait que l’on traite différemment les cessions de parts sociales ou les contrats aléatoires d’un côté et les cessions d’actions « non cotées » de l’autre. Ensuite et au contraire, il aurait plutôt fallu, en accord avec cet objet, que le texte opère une distinction entre cessions de gré à gré d’actions et cessions réalisées sur les « marchés financiers » ; façon pour la société requérante de souligner l’incohérence du texte.

 

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Aucun de ces griefs n’emporte la conviction du Conseil constitutionnel qui, opérant son contrôle sur le fondement de l’article 6 de la DDHC, énonce classiquement que « le principe d’égalité ne s’oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu’il déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général, pourvu que, dans l’un et l’autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l’objet de la loi qui l’établit. Si, en règle générale, ce principe impose de traiter de la même façon des personnes qui se trouvent dans la même situation, il n’en résulte pas pour autant qu’il oblige à traiter différemment des personnes se trouvant dans des situations différentes ». S’agissant de la distinction entre cessions d’actions de gré à gré et cessions sur les « marchés financiers », notons que pour écarter le grief le Conseil se contente d’insister sur l’absence d’obligation de discriminer entre des personnes se trouvant des situations distinctes. En un sens, l’incohérence partielle des effets du dispositif n’est pas ici contrôlée.

L’absence de méconnaissance du principe d’égalité devant la loi

 

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n° 2023-11 du 21 juin 2023

lettre creda du 21 juin 2023

 

En premier lieu, après avoir rappelé que « le législateur a entendu assurer la sécurité juridique d’opérations qui, eu égard à la nature des instruments financiers, intègrent nécessairement un risque d’évolutions imprévisibles de leur valorisation », les juges constitutionnels considèrent qu’ « au regard de cet objet, la cession des titres de capital émis par les sociétés par actions, qui se caractérisent par leur négociabilité, se distingue de la cession des parts sociales des sociétés de personnes, qui ne peuvent être représentées par des titres négociables ».

Si l’on se borne à comparer la nature des droits sociaux en cause, il est vrai que l’on peut difficilement dire que la négociabilité des actions ne leur imprime pas une différence de nature par rapport aux parts sociales. C’est même le critère habituellement avancé pour les distinguer : les actions se transmettent selon des modalités simplifiées propres au droit commercial (not. C. mon. fin., art. L. 211-14 et L. 211-15), tandis que les cessions de parts sociales de sociétés de personnes (mais pas que) nécessitent un écrit, doivent être rendues opposables à la société et aux tiers selon certaines formalités, et font l’objet d’une publicité au RCS via un guichet unique (et désormais au registre national des entreprises - RNE).

Passée cette différence, importante, on ne voit pas bien, au vu de l’objet du texte, le rapport direct qui est établi entre la négociabilité des actions et le risque d’évolutions imprévisibles de leur valeur. A tout le moins, il n’apparait pas que la négociabilité des actions suffise à justifier une différence de traitement, ces dernières n’étant pas en tant que telles et plus que d’autres biens, singulièrement des parts sociales, exposées à un risque de volatilité ou de spéculation. En réalité, et plusieurs auteurs l’ont souligné, le risque associé à la valorisation des actions (hors opérations en bourse) procède plus de pratiques (par exemple, le temps étiré entre conclusion et exécution de la cession), que de leur négociabilité. La situation est toutefois différente pour les contrats financiers, qui intègrent effectivement un risque, l’exclusion opérée par l’article L. 211-35 du code monétaire et financier s’agissant de l’exception de jeu ayant d’ailleurs été avancée pour chasser l’article 1195 (HCJP, Rapp. 10 mai 2017, p. 26).

Cession d’actions (ou de parts) et contrat aléatoire

En second lieu, répondant à une autre critique de la société requérante, le Conseil constitutionnel ajoute que la cession d’actions « ne se confond pas non plus avec les contrats aléatoires », ce qui appelle deux observations.

D’abord, il est clair que la vente n’est pas en tant que telle un contrat aléatoire, même lorsqu’elle porte sur des parts ou actions. La nature aléatoire d’un contrat repose sur l’acceptation par les parties d’une incertitude sur ses effets attendus, chaque partie devant réciproquement courir un risque de gain et de perte. Or, si la dimension spéculative des obligations résultant d’opérations sur contrats financiers est une réalité, il n’en va pas de même d’une cession de droits sociaux. Certes, elle peut dans certains cas revêtir une dimension aléatoire : la cession isolée de l’usufruit par exemple. Mais les fluctuations ou aléas affectant la valeur de la chose vendue ne suffisent pas à conférer au contrat une nature aléatoire au sens de l’article 1108. En outre, le fait que l’acquisition de droits sociaux confère au cessionnaire la qualité de partie à un contrat de société, qui est aléatoire, nous semble indifférente. Bien que liées, les deux opérations demeurent distinctes. Ainsi, « l'affectio societatis n'est pas une condition requise pour la formation d'un acte emportant cession de droits sociaux » (Com. 11 juin 2013, n° 12-22.296). De même, si une cession de droits sociaux peut être annulée pour indétermination du prix en particulier lorsque le cédant cherche à se prémunir contre l’aléa social par le jeu de clauses de prix jugées léonines, c’est en raison de la qualité d’associé du cédant, non de celle de vendeur.

Ensuite, il faut se garder de déduire de la formule utilisée par le Conseil que les contrats aléatoires seraient assujettis à la révision pour imprévision. Au contraire, il est souvent avancé que « l’aléa chasse l’imprévision ». A cet égard, la question de l’utilité de l’article L. 211-40-1 a été posée durant les débats parlementaires, motif pris de ce que les contrats financiers auraient par définition échappé à la révision pour imprévision en raison de leur nature aléatoire (Rapp. Sénat, 11 oct. 2017, n° 22, p. 67). La prudence s’est toutefois imposée, à juste titre. Non seulement, il n’est pas toujours évident de déterminer dans quelle mesure l’aléa économique qui marque la plupart des contrats financiers rejoint l’aléa au sens de l’article 1108 du Code civil ; mais plus encore, il n’est pas certain que les contrats aléatoires échappent à la révision pour imprévision en dehors des risques qui intègrent l’objet du contrat (par essence acceptés par les parties).

Julien DELVALLÉE
Maître de conférences en droit privé à l'Université Paris-Saclay


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