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Révocation du dirigeant personne morale : l’obligation de loyauté confirmée

Lettre CREDA-sociétés 2022-06 du 11 mai 2022

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La position d’un dirigeant social peut être précaire lorsque des investisseurs intègrent le capital social, surtout lorsque ceux-ci intègrent le capital par le biais de titres convertibles. La chambre commerciale de la Cour de cassation a eu l’occasion de le rappeler le 30 mars dernier (Cass. com. , 30 mars 2022, n° 19-25.794).

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En l’espèce, une SAS est dirigée par un président et un directeur général, tous deux personnes physiques. Le jour de leur nomination, un LBO est mis en place au profit de la SAS, avec un financement bancaire et la souscription d’obligations convertibles en actions par plusieurs fonds d’investissement. Enfin, un pacte d’associés est conclu entre les différents fonds d’investissement et les deux dirigeants personnes physiques. Quelques mois plus tard, le président est remplacé par une personne morale dont il est le gérant et l’associé unique.

Cinq ans après, la société de gestion des fonds d’investissements notifie à la SAS la conversion des obligations, accordant aux fonds la majorité des droits de vote. Ce faisant, une assemblée est convoquée, aux fins de révoquer le président personne morale, et le remplacer par le directeur général.

La personne morale révoquée, comme son associé unique, contestent la révocation, ainsi que le contenu de la clause de non-concurrence contenue dans le pacte d’associés conclu avec les fonds d’investissement. La révocation serait en effet intervenue brutalement et la clause de non concurrence ne comporterait aucune limitation ni temporelle, ni géographique.

La cour d’appel rejette les deux demandes. D’une part, si une indemnisation est accordée à la personne physique, elle ne l’est pas à la personne morale mandataire, car elle ne « prouve pas un préjudice distinct » de celui de la personne physique. D’autre part, la clause de non-concurrence étant insérée dans un pacte d’actionnaires, il n’y aurait aucune obligation à ce qu’elle contienne une limitation dans le temps et l’espace. 

L’arrêt est censuré doublement. Dans un premier temps, la Cour d’appel a violé l’article 1382 ancien du Code civil en ce que la SAS – qui a été depuis absorbée par une autre société – n’avait pas respecté son obligation de loyauté à l’égard de son président personne morale et devait donc indemniser son préjudice. Dans un second temps, les juges du fond ont violé l’article 1134 ancien du Code civil et le principe de la liberté d’entreprendre en retenant qu’une clause de non-concurrence dans un pacte d’actionnaires ne devait pas être limitée dans le temps ou l’espace. Si la solution de ces deux censures ne suscite aucun étonnement, il convient toutefois de les étudier successivement car les termes employés méritent d’être approfondis.

La révocation de la personne morale et l’identification d’une obligation de loyauté

Dans un premier temps, la censure de l’arrêt d’appel ne faisait à vrai dire aucun doute quant à la révocation, et donne l’occasion de rappeler qu’elle ne doit pas survenir brutalement, sauf à créer un préjudice indemnisable. La décision de la Cour de cassation est toutefois remarquable en ce qu’elle évoque une obligation de loyauté dans le cadre de la révocation.

Les statuts de la SAS stipulaient que la révocation ne pouvait donner lieu à aucune indemnité, ce qui n’exclut pas pour autant toute indemnisation lorsque la révocation est abusive car intervenue dans des circonstances brutales, vexatoires ou attentatoires à l’honorabilité du dirigeant social (Cass. com., 27 mars 1990). En l’espèce, la personne physique représentant le président personne morale s’était vu interdire, au retour de ses congés, l’accès aux locaux et à sa messagerie et avait subi le blocage de sa carte bancaire professionnelle. Son préjudice moral avait été évalué à 3.000 euros, ce qui interdisait, selon la Cour d’appel, toute indemnité versée à la personne morale, sauf à démontrer un préjudice différent. Or, une telle position fait fi de deux points :

  • Le mandat est détenu par la personne morale, et en conséquence, c’est elle qui est révoquée brutalement ;
  • Une personne morale peut, au même titre qu’une personne physique, subir un préjudice moral (Voir notamment Cass. com., 15 mai 2012, 11-10.278).

En conséquence, la personne morale pouvant elle aussi subir un préjudice moral du fait de la brutalité de sa révocation, il n’était pas nécessaire d’exiger la caractérisation d’un préjudice autre que le préjudice moral subi par son représentant. La censure sur le fondement du droit de la responsabilité extracontractuelle ne faisait aucun doute.

La chambre commerciale approuve toutefois la Cour d’appel d’avoir caractérisé que la SAS n’avait pas respecté « son obligation de loyauté » dans la révocation de son président. Si l’identification d’une telle obligation n’est pas en soi inédite (Cass. com., 14 mai 2013, n° 11-22.845), elle s’inscrit dans une tendance jurisprudentielle actuelle et mérite donc d’être soulignée. En effet, contrairement aux nombreuses décisions l’ayant mise à sa charge (Cass. com, 27 février 1996, n° 94-11.241 ; Cass. com 24 février 1998, n° 96-12.638), le dirigeant devient dans cet arrêt créancier de l’obligation de loyauté, la société en étant débitrice. Les contours de cette obligation n’apparaissent pas dans la décision de cassation, mais il semble ressortir des faits évoqués dans l’arrêt d’appel que la déloyauté serait liée au défaut de contradictoire.

De la validité de la clause de non-concurrence entre associés

Dans un second temps, la censure de l’arrêt d’appel sur la question de la clause de non-concurrence faisait, elle aussi peu de doutes. En effet, les juges du fond avaient considéré que l’inclusion d’une clause de non-concurrence dans un pacte d’actionnaires suffisait pour faire disparaître les exigences de limites dans le temps et l’espace, alors que la clause de non-concurrence stipulait que « les dirigeants s’engagent, tout au long de leur présence au capital de la société ou de ses filiales, à ne pas occuper, en France ou à l’étranger directement ou indirectement, de fonctions rémunérées ou non, quelle qu’en soit la nature, dans une société ayant une activité concurrente à celles exercées à ce jour ou qui seraient exercées par la société ou par ses filiales pendant ladite durée, ou ayant lien avec l’activité concurrente ».

Si en l’espèce il existe bien une limite dans le temps – la durée de présence au capital de la société et de ses filiales –, la limite dans l’espace est déjà plus problématique, la clause semblant imposer une restriction mondiale. La clause de non-concurrence étant une limite au principe de la liberté d’entreprendre, il est logique qu’elle ne soit pas absolue, et l’arrêt donne l’occasion de le rappeler. Ainsi, pour qu’elle soit conforme au principe précédemment évoqué et expressément visé par la chambre commerciale (voir déjà, Cass. com., 4 mars 2020, 17-21.764 18-26.676) il est nécessaire que la clause de non concurrence soit limitée dans le temps et l’espace et proportionnée au regard de l’objet du contrat.

La cour de cassation souligne que l’acte dans lequel s’insère cette cause est sans incidence sur ces conditions, qu’il s’agisse d’un pacte d’associés ou d’un contrat de travail. La seule particularité attachée à l’inclusion dans un contrat de travail d’une telle clause concerne l’exigence d’indemnité compensatrice au profit du salarié (Voir par exemple Cass. soc., 13 octobre 2021, n° 20-12.059), qui ne s’applique évidemment pas à la clause visant l’associé…

Matthieu Zolomian
Maître de conférences à l’Université Jean Monnet

 

 

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