Les SPACs, "one of the hottest trends" sur les marchés financiers
Lettre CREDA-sociétés 2021-07 du 7 avril 2021


Les SPACs, ou « Special Purpose Acquisition Company » (société d’acquisition à vocation spéciale ou société à vocation d’acquisition) se multiplient aujourd’hui sur les marchés financiers et séduisent toujours plus d’entrepreneurs et d’investisseurs.
Aux États-Unis, où se concentre la grande majorité des SPACs, on constate même une véritable explosion des SPACs : en 2020, 244 SPACs ont été créées et ont levé 78 milliards de dollars de fonds, représentant près de la moitié des introductions en bourse aux États-Unis ; et au cours des deux premiers mois de 2021, 188 SPACs ont été créées, avec un montant levé de 58 milliards de dollars.
Si les SPAC ont fait leur apparition en Europe au milieu des années 2000, elles y sont encore rares. En 2005, une première SPAC a été cotée sur l’Alternative Investment Market du London Stock Exchange (LSE) par la société américaine International Metal Enterprises.
En France, la première SPAC créée est Mediawan SA, introduite sur Euronext Paris en avril 2016 après avoir levé plus de 250 millions d’euros. Un autre exemple très récent de SPAC en France est 2MX Organic, qui a levé, en décembre 2020, 300 millions d’euros lors de son introduction en bourse ; son introduction sur le compartiment professionnel du marché réglementé d’Euronext Paris est considérée comme la plus importante de l’année 2020.
Qu’est-ce qu’une SPAC ?
La SPAC est une société sans activité opérationnelle dont les titres sont émis sur un marché boursier en vue d’une ou plusieurs acquisitions ou fusions futures dans un secteur particulier avant une échéance déterminée. Elle est donc constituée dans le seul but de lever des capitaux par le biais d’une introduction en bourse, avec comme objectif d’acquérir (ou de fusionner avec) une ou plusieurs sociétés existantes mais non cotées sur un marché réglementé. Une fois l’opération bouclée, la SPAC se rebaptise généralement du nom de la société acquise, laquelle met la main sur les fonds levés. Les sociétés ciblées sont donc introduites en bourse par un processus de « fusion » avec la SPAC cotée, ce qui permet à ces sociétés de se coter sur les marchés sans passer par les longues et coûteuses procédures administratives.
En réalité, une SPAC est une « coquille vide » qui s’introduit en bourse en amont, sans activités commerciales existantes ni résultats à présenter, tout en demandant aux investisseurs une sorte de chèque en blanc. Ce constat peut susciter quelques interrogations, notamment sur les avantages, manifestes, et les inconvénients ou risques, moins visibles et plus subtils de telles opérations pour les différents protagonistes. De manière plus générale se pose la question de la régulation des SPACs.
Quelle régulation pour les SPACs ?
Les SPACs ont suscité avec le temps et le nombre d’opérations réalisées une norme d’usage de leur structuration et fonctionnement dans les différentes places financières. C’est sous les impulsions de praticiens que s’est développée cette norme d’usage, qui s’inspire d’ailleurs souvent fortement de la pratique nord-américaine.
Quant au droit applicable aux SPACs, il diffère selon les places financières. Le droit des sociétés applicable à la SPACs dépend en effet de la législation du pays dans lequel elle est créée; le régime boursier quant à lui dépend de son lieu d’introduction en bourse. A ce titre, on observe différents systèmes : dans quelques pays, minoritaires encore, on trouve des règles spécifiques aux SPACs, émises par le législateur ou les autorités boursières nationales, pendant que dans d’autres pays, encore majoritaires aujourd’hui, cette réglementation fait défaut.
Aux États-Unis, par exemple, les SPACs font l’objet d’une législation stricte, avec notamment une réglementation spécifique aux SPACs introduites à la Bourse de New York. Ainsi, la SEC exige depuis 1933 que les fonds levés de la SPAC restent sur un compte séquestre jusqu’à l’acquisition de la société cible et que les investisseurs peuvent se retirer pendant ce temps-là.
Au Royaume-Uni, en Allemagne et aux Pays-Bas, où de plus en plus de SPACs sont actives, elles ne sont pas soumises à un régime spécifique. En l’absence d’un statut juridique et réglementaire applicable aux SPACS, au moins deux contraintes doivent donc être respectées, outre celles dégagées en la matière par la pratique : les règles générales propres au pays d’immatriculation de la société et celles du pays d’introduction sur le marché réglementé.
En France, un régime légal ou réglementaire propre aux SPACs n’existe pas non plus aujourd’hui. En l’absence de régime spécifique, la constitution d’une SPAC suppose de respecter les normes d’usage mais aussi le droit commun, et en particulier le droit des sociétés et le droit boursier.
Ainsi, pour que la SPAC puisse être introduite en bourse (ou offrir ses titres au public), il faut nécessairement choisir entre la société anonyme, la société en commandite par actions et la société européenne, qui sont les seules formes sociales pouvant prétendre à la cotation sur un marché réglementé. Un autre exemple de problème relevant du droit des sociétés est celui de l’auto-contrôle des actions par la SPAC. En effet, la norme d’usage consiste à pouvoir racheter à tout moment les actions des actionnaires exerçant leur droit de retrait ; or, s’agissant des sociétés anonymes, l’article L. 225-209 du Code de commerce assigne expressément une limite de détention des actions d’auto-contrôle de 10% ; en cas de rachat aux actionnaires, le seuil légal de 10 % des titres auto-détenus par la SPAC constituée sous la forme d’une société anonyme pourrait être un obstacle.
Ensuite, s’agissant du droit boursier, même si les règles diffèrent en fonction du lieu de la cotation, une autre difficulté est que la SPAC est une société nouvelle et qu’en principe une société doit avoir réalisé au moins trois exercices comptables pour procéder à sa cotation (ou à une offre au public) ; une dérogation doit donc être demandée à l’AMF.
L’introduction des SPACs sur le compartiment professionnel du marché réglementé d’Euronext Paris permet certes de surmonter un certain nombre de ces obstacles juridiques. Plus précisément, les actions (ou « unités ») de la SPAC sont réservées aux investisseurs institutionnels susceptibles d’investir 1 million d’euros minimum ; et une fois la SPAC cotée, les échanges d’actions ne peuvent intervenir en principe qu’entre investisseurs qualifiés.
Parfois, il est aussi nécessaire d’adapter la norme d’usage, ainsi que les conditions négociées entre fondateurs et investisseurs, au droit français. Dans le passé, les différents protagonistes, y compris Euronext et l’AMF, ont ainsi pu trouver des solutions en faisant preuve de souplesse et en adoptant dans la mesure du possible une approche pragmatique.
La question de la pertinence d’une réglementation visant spécifiquement les SPACs doit être posée. Pour développer la pratique grandissante des SPACs et renforcer la sécurité juridique en la matière, notamment pour les investisseurs, il serait sans doute utile de clarifier au moins la réglementation qui leur est applicable, au niveau européen et/ou national.
Katrin DECKERT
Maître de conférences Université Paris-Nanterre