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Les associés de la SARL peuvent déroger aux statuts sans les modifier

Lettre CREDA-sociétés 2020-05 du 25 mars 2020

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Déroger à une ou plusieurs clauses des statuts par l'établissement d'un acte postérieur conclu entre les associés est valable, même si l'accord litigieux est contraire aux statuts, dès lors que tous les associés y ont consenti.

 

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Bis repetita placent ? Dans un arrêt inédit par sa publication mais connu par les faits dont il traite (premier arrêt, Com 12 mai 2015, n° 14-13.744), la Cour de cassation réaffirme, sans nuances, que les associés de SARL peuvent écarter certaines clauses des statuts sans respecter les processus du droit des sociétés et sans, singulièrement, modifier lesdits statuts.

 

Un associé et gérant démissionnaire avait été, dans le cadre d’un protocole d’accord extrastatutaire signé avec ses coassociés, autorisé à créer une activité concurrente et ce, par dérogation à une clause de non-concurrence, statutaire. Peu de temps après le lancement de son activité, le gérant et sa société nouvellement créée avaient été assignés par la SARL, motif pris de ce que le protocole avait été adopté en violation de ses statuts et de la compétence de son assemblée générale. Saisie sur renvoi après cassation (Com. 12 mai 2015, n° 14-13.744), la cour d’appel de Montpellier rejetait la demande.

L’unique moyen du pourvoi est écarté en des termes, presque identiques, à ceux de l’arrêt de 2015.

Est réaffirmée la faculté ouverte aux associés de SARL de « déroger à une ou plusieurs clauses des statuts et s'en affranchir par l'établissement d'actes postérieurs, valables dès lors que tous les associés y consentent ».

Est approuvée la cour d’appel ayant « exactement retenu que, bien qu'il fût contraire aux statuts, le protocole d'accord litigieux s'imposait à la société ».

Quels sont la nature et le régime de cette dérogation ?

Autre chose qu’une décision sociale

Certes la qualification a quelques arguments pour elle. Ce mode de consultation est expressément autorisé par la loi dans les SARL et le raisonnement n’est pas démenti par l’absence de nullité de l’acte dérogeant aux statuts, pourtant en violation de la compétence exclusive de l’assemblée générale.

A l’époque des faits, l’article L. 223-27 du code de commerce ne visait pas expressément en effet la nullité en cas de violation de ses dispositions, comme l’exige l’article L. 235-1 pour les décisions modificatives des statuts.

De même, cette « faculté » conventionnelle de déroger, n’est pas sans rappeler, sans se confondre avec elle, celle ouverte par la jurisprudence, ayant admis, en matière de cautionnement réel, l’extension ponctuelle de l’objet social par le consentement unanime des associés (par ex. Civ. 3ème, 1 déc. 1993, n° 91-16327).

Enfin, comment refuser à l’unanimité ce que peut la majorité, même qualifiée ? Après tout, la société est aussi un contrat.

Il reste que dès l’instant où le protocole était « contraire aux statuts », c’est bien l’aveu de ce qu’il ne les avait pas modifiés, de sorte que l’explication tirée d’un acte unanime des associés, qui vaudrait décision sociale, implicite, doit être écartée.

De plus, l’acte unanime n’était pas prévu par les statuts de la SARL et la Cour de cassation a pu, dans les sociétés civiles, lui attacher un certain formalisme, alors même que la solution paraitrait plus fondée. L’article 1852 du code civil prévoit à cet égard que les décisions excédant les pouvoirs des gérants relèvent de la compétence des associés, à l’unanimité, ce qui laisse une place plus importante à la volonté unanime des associés. Pourtant, à deux reprises, la Cour a décidé que la signature d’une déclaration fiscale par tous les associés d’une société civile ne pouvait constituer un acte unanime au sens de l’article 1854 du code civil (Com. 12 juin 2012, n° 11-17042, Bull.IV, n° 122 ; Com. 4 déc. 2012, n° 11-24174).

Enfin, même dans les SAS, il n’est pas dit que le recours à l’acte unanime en l’absence de stipulation expresse serait permis. Si les statuts peuvent prévoir toute modalité de prise des décisions collectives, encore faut-il qu’ils l’aient fait. D’ailleurs, la Cour de cassation envoie un signal contraire, au moins en apparence, lorsqu’elle insiste sur le caractère institutionnel du pouvoir des organes dirigeants de SAS en conférant un monopole aux statuts (Com., 25 janv. 2017, n°14-28792)

Quelque chose comme une convention extrastatutaire

A priori, la qualification est opportune et contourne les obstacles.

Non seulement, elle est justifiée par un souci de protection des tiers, le dirigeant, ici, contre les fluctuations de ses anciens partenaires, mais plus encore, elle présente deux avantages.

  • D’un côté, elle garantit l’efficacité conventionnelle de la dérogation pour les seules parties. L’effet relatif ne soulage donc ni les autres associés, présents et futurs, ni les dirigeants, sans exposer la société.
  • De l’autre, elle évite aux associés la lourdeur et le coût des processus du droit des sociétés, tout en favorisant l’application des statuts, à la carte, la dérogation pouvant ne concerner qu’ « une ou plusieurs clauses », en même temps ou séparément.

Malgré tout, on ignore son régime. En tant que telle, la dérogation ne devrait contrarier ni l’ordre public ni l’intérêt social ni les statuts. Or, ces trois éléments, étaient, au moins formellement, en cause.

  • D’abord, c’est l’article L. 223-27 du code de commerce qui est contourné, si ce n’est par l’objet de la dérogation, au moins indirectement par ses effets.
  • Ensuite, la Cour de cassation a récemment semblé insister sur l’importance du respect des statuts par les actes extrastatutaires (Com., 5 juin 2019, n° 17-18967). Sous-entendu seulement car dans l’espèce en question on ne saurait dire si c’est parce que les statuts avaient été modifiés après l’adoption d’un pacte, ou si c’est parce que leur normativité était réellement supérieure, qu’ils l’emportaient sur le pacte. La solution est au surplus difficile à interpréter car, selon la Cour, le pacte avait été implicitement modifié par les statuts, ce qui, sans être l’inverse de la situation commentée, laisse perplexe. Résultat : on peut « déroger » aux statuts par convention et par les statuts « modifier » une convention.
  • Enfin, la dérogation lève une interdiction de faire concurrence à la société, sans toutefois que la « volonté » de la société ait été formellement exprimée. La formule selon laquelle la convention « s’imposait » à la société dérange donc et ce, alors que la convention est manifestement contraire à son intérêt.

Il est vrai que l’on pourrait rétorquer que la volonté sociale dépend de celle des associés et que la violation de l’intérêt social n’est pas, en tant que telle, une cause de nullité des décisions sociales, singulièrement dans une SARL (Com., 12 mai 2015, n°13-28504, Bull. IV, n° 80). On pourrait encore dire que le gérant et associé était partie à la convention, ainsi que l’ensemble des associés, de sorte que la SARL ne pouvait l’ignorer.

Pourtant, l’assertion de l’absence de nullité en cas de contrariété à l’intérêt social est-elle pertinente pour les actes qui n’ont pas la nature de décision sociale ? Et ce, d’autant que l’unanimité des associés, expression idéale de l’intérêt commun, ne se confond pas, en particulier à la lumière de l’alinéa second de l’article 1833 du code civil, avec l’intérêt social.

En définitive, opposabilité, effet relatif, processus du droit des sociétés et autonomie de la personnalité morale se trouvent malmenés pour les besoins d’une solution que l’on comprend et salue, en pratique, mais dont on apprécie difficilement la portée, en droit. D’autant plus qu’elle n’est guère plus satisfaisante vis-à-vis des tiers, les « vrais ». On sait qu’ils demeurent fondés à ignorer la dérogation, laquelle leur est inopposable et partant, qu’ils peuvent critiquer toute violation des statuts qui leur causerait un préjudice.

Julien DELVALLEE
Maître de conférences en droit privé à l’Université Paris-Saclay

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