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De la révocation surprise mais non brutale du gérant de SARL

Lettre CREDA-sociétés 2020-15 du 9 décembre 2020

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La révocation des gérants de SARL est abordée à l’article L. 223-25 du Code de commerce, qui dispose que ces mandataires sociaux sont révocables par une décision d’assemblée, mue par de justes motifs, ou par une décision judiciaire pour une cause légitime. Le silence du texte sur d’autres points laisse une certaine marge de manœuvre à la jurisprudence, afin de clarifier les éventuelles zones d’ombre (Cour de cassation, chambre commerciale, 14 octobre 2020, 18-12.183).

 

Cette lettre est téléchargeable au format pdf en bas de page

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Une SARL est représentée par des cogérants, dont l’un est révoqué par l’assemblée. Alors que la société l’assigne en remboursement des rémunérations qui lui avaient été versées ainsi qu’en remboursement « de dépenses exposées dans le cadre de ses fonctions et des cotisations sociales personnelles » qui auraient été indument prises en charge par la société, le gérant conteste reconventionnellement sa révocation, arguant de ce qu’elle serait intervenue de manière brutale et sans juste motif.

La Cour d’appel rejette la demande de réparation du gérant. Un pourvoi est alors formé. Il est reproché aux juges du fond de ne pas avoir retenu la brutalité de la révocation alors que la décision n’était pas inscrite à l’ordre du jour de l’assemblée, privant de ce fait le gérant de la possibilité de se défendre. En outre, les justes motifs justifiant sa révocation ne seraient pas caractérisés.

La chambre commerciale rejette le pourvoi. D’une part, elle souligne que l’assemblée des associés au cours de laquelle le gérant a été révoqué portait sur des questions relatives à la gestion susceptibles de déboucher sur la révocation du gérant. Au cours de cette assemblée, le gérant avait eu de plus l’occasion de se justifier sur les faits qui lui étaient reprochés, ce qui écarte le grief de révocation brutale, « peu important que celle-ci n’ait pas été inscrite à l’ordre du jour ». D’autre part, elle appuie la cour d’appel en ce qu’elle a relevé des faits attestant l’existence d’un juste motif.

L’arrêt appelle dans un premier temps de brèves observations sur la validité des motifs de la révocation. Dans un second temps, il conviendra de s’intéresser à l’absence de brutalité alors que la révocation n’est pas inscrite à l’ordre du jour, qui semble être l’apport principal de l’arrêt.

Le juste motif de révocation

Il ressort de l’arrêt que de nombreux agissements étaient reprochés au gérant visé par la procédure de révocation. Ainsi, les comptes étaient « peu rigoureux » avec même une « erreur » sur un poste comptable, les prélèvements effectués par le gérant au titre de sa rémunération étaient en augmentation, et enfin, les relations entre la SARL et une autre société dont le gérant était aussi le dirigeant n’avaient pas été « clarifiées » par le biais d’une approbation des associés, alors que le gérant s’y était engagé.

La décision de révocation, et sa validation par les juges du fond puis la Cour de cassation, est compréhensible en ce que certains de ces comportements ont, à eux seuls, constitué de justes motifs de révocation. Ainsi, la seule augmentation unilatérale de la rémunération a pu suffire pour caractériser le juste motif de révocation (Cour d’appel de Reims, 5 février 2013, n° 11/01274). Quant au dernier motif retenu, même si la procédure des conventions réglementées au sein des SARL ne vise pas les conventions conclues entre deux sociétés ayant le même dirigeant (article L. 223-19 du Code de commerce), le non-respect, par le gérant, de son engagement à l’égard des associés pourrait constituer un juste motif de révocation, à condition toutefois qu’il ait compromis le fonctionnement de la société.

L'absence d'inscription à l'ordre du jour

Cette décision vient compléter un vide législatif, alors que le droit applicable aux SARL ne connaît pas de dispositions strictement analogues à celles de l’article L. 225-105 du Code de commerce pour les SA. Celui-ci prévoit le principe selon lequel aucune décision ne peut être votée sans être inscrite à l’ordre du jour, à l’exception toutefois de la révocation des administrateurs, qui peut survenir à tout moment.

En l’espèce, le gérant avait été révoqué alors même que l’ordre du jour ne mentionnait pas cette question. L’assemblée traitait en revanche de diverses anomalies ou irrégularités qui l’ont conduit à ne pas approuver les comptes sociaux et les rémunérations du gérant. Pour éviter le grief de révocation brutale soulevé par le gérant, la chambre commerciale semble poser deux critères cumulatifs :

  • L’ordre du jour de l’assemblée des associés portait sur des questions qui étaient susceptibles de déboucher sur celle de la révocation. En d’autres termes, l’ordre du jour concernait des décisions de gestion, prises par le gérant, potentiellement contraires à l’intérêt social. En cela, la chambre commerciale reprend une condition qu’elle avait précédemment posée (Cass. com., 28 février 1977, 75-14.163, Cass. com., 29 juin 1993, 91‐14.778)
  • Le dirigeant, au cours de l’assemblée, a eu l’opportunité de « présenter des observations sur les fautes qui lui étaient reprochées ». Le contradictoire est bel et bien respecté, mais ne concerne évidemment pas la révocation, qui n’était pas encore intervenue, mais les décisions de gestion qui pourraient aboutir à la révocation.

Un autre élément paraît devoir être noté à la lecture de l’arrêt : l’absence de réponse aux questions posées par écrit au gérant sur les décisions de gestion litigieuses. Ce mécanisme résulte de l’article L. 223-26 du Code de commerce, qui offre la faculté à tout associé « de poser par écrit des questions auxquelles le gérant est tenu de répondre au cours de l'assemblée ». Il ne semble pas que cette phase préalable de questions écrites soit une condition nécessaire pour écarter la brutalité de la révocation. Elle peut toutefois servir d’élément supplémentaire permettant de ne pas retenir la responsabilité de la société pour révocation abusive, car brutale, le gérant étant alors avisé du risque qu’il commence à encourir.

La formule retenue par la chambre commerciale de la Cour de cassation conduit à penser que la brutalité de la révocation est écartée car celle-ci était envisageable, sinon prévisible, lors de l’assemblée des associés. L’ordre du jour ne limitant pas les décisions pouvant être prises par une assemblée d’associés de SARL, il était donc possible que les associés décident de révoquer le gérant suite aux points débattus en assemblée, sans que le gérant ne puisse contester la forme de sa révocation.

Cette décision, bien que non publiée, présente donc l’intérêt de rappeler combien la position de gérant minoritaire peut être précaire, celui-ci pouvant être à la merci de l’assemblée. La formule de l’attendu, explicite dans ses conditions, ne semble pas pouvoir justifier une révocation sur « incident de séance », c’est-à-dire un évènement grave et imprévu qui justifierait la révocation du gérant. En effet, on voit mal comment la première condition de prévisibilité pourrait être respectée dans une révocation due à un évènement imprévu… Il faudra alors que la chambre commerciale se prononce une nouvelle fois, afin de déterminer si la révocation du gérant est, quant à ses conditions de forme, comparable à celle des administrateurs.

Matthieu ZOLOMIAN
Maître de conférences à l’Université Jean Monnet – Saint-Etienne

 

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