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Ressources Humaines

Management en période de COVID-19 : plus de proximité, plus de résilience ?

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Quelles solutions managériales envisager en cas de deuxième vague de COVID-19 ou de persistance du virus ? Guila Clara Kessous, PhD, enseignante chercheur à l'Harvard University et coach certifiée, insiste sur la nécessité pour le manager de trouver la juste proximité à mettre en place : surmonter la distance imposée par les circonstances pour instaurer une nouvelle forme de proximité avec ses collaborateurs…

Bienvenue dans « Le monde d’ensuite »

On pense beaucoup au « monde d’après » mais ce serait trop isoler le phénomène COVID de ce qui nous attend, trop le déconnecter de l’espace temps sur lequel on projette justement ces prospectives économiques. Je préfère utiliser l’expression du « monde d’ensuite » qui permet un changement de paradigme mental dans la préparation du futur à venir pour penser l’après dans la continuité et pas seulement dans la disruptivité de cette crise.

La particularité de la France repose sur des fondements d’intelligence émotionnelle différents des autres pays. Reprenons les quatre émotions primaires de S. Freud (primaires car même les animaux les ressentent) : joie, tristesse, colère et peur. Ces quatre tendances reposent sur des « besoins physiologiques et psychologiques » précis pour que l’individu comprenne d’où provient le stimulus émotif et comment l’apaiser.

La peur vient du besoin de sécurité, la tristesse vient d’un besoin de deuil (en tant que rupture avec quelque chose qui est radicalement fini), la joie provient d’une quête de partage (qu’elle soit externe avec d’autres ou interne avec soi-même), enfin la colère provient d’un besoin de justice et de respect. L’agressivité est ainsi motivée par un sentiment d’être victime, de souffrir d’injustice.

Quand on observe les piliers émotionnels d’autres pays comme les Etats Unis, on s’aperçoit que la base du rêve américain est motivée par la quête de la joie et le droit au bonheur pour tous. D’où ce besoin de partage qui peut paraître parfois trop « expansif » (les « O my Goooood !! » d’extase par exemple). En France, seule l’une de ces quatre émotions est qualifiée de « saine » dans la langue française : on dit « une saine colère ». En effet, le besoin émotionnel de la société française est cette soif de justice sociale.

Il existe bien entendu une volonté de justice sociale dans les autres pays notamment aux Etats Unis mais elle ne fait pas radicalement partie du besoin fondateur émotionnel du pays, c’est-à-dire qu’elle va faire partie de ce droit au bonheur pour tous du rêve américain incluant un droit à l’échec. Ainsi, aux Etats Unis, lors d’un accident grave, l’une des solutions comme processus de guérison est de couper le nerf qui stimule la douleur pour justement retrouver l’efficacité (la rentabilité ?) d’un corps qui ne souffre pas et qui peut ainsi continuer de fonctionner.

En France, le rapport à la douleur est presque l’inverse. Celui qui a souffert préfère en garder la trace dans son corps pour justement travailler le « muscle » de la résilience puisque le droit au bonheur n’est pas la priorité. Ce qui compte avant tout, c’est ce désir de justice sociale qui est enraciné dans la société et donne droit à des gestes de colères comme les possibilités de grèves ou de manifestations qui ne sont pas culturellement ancrées dans d’autres cultures. Ceci explique l’indignation quasi continuelle de cette insatisfaction française eu égard à cette volonté utopique d’un traitement d’égalité pour tous.

Cela se ressent en management. Le rêve ultime d’un manager français serait un traitement d’égalité voire même idéalement un salaire égal pour tous ses employés : un management « juste ». Le rêve d’un manager américain serait d’avoir des collaborateurs heureux, de créer une entreprise où il fait bon vivre : un management « positif ».

La crise du COVID vient exacerber ses tendances au niveau de l’intelligence émotionnelle liée au management. La France sera complétement prête à basculer dans ce « monde d’ensuite » lorsque les barrières sociales et sociétales seront posées pour une capacité managériale plus juste tant au niveau des collaborateurs que des investisseurs ou de l’Etat. Ce management « juste » provient non seulement de plus de « justice » dans les traitements des collaborateurs à tous les échelons de l’entreprise, mais également plus de « justesse » au niveau de la posture managériale.

Les conditions nécessaires à la résilience en entreprise proviennent donc plus que jamais d’une vraie volonté managériale d’horizontalité. La posture du manager qui « sait » (le chef) par rapport au collaborateur qui « fait » (l’exécutant) n’a plus lieu d’être. Au contraire, il est crucial aujourd’hui de penser la posture managériale comme étant liée à celle du manager-coach.

Liberté, égalité, fraternité… proximité

La « saine colère » liée à la culture française, cette indignation sociale « noble » a été enrayée par cette crise du COVID qui a remplacé allégrement les manifestations liées aux gilets jaunes depuis mars dernier. D’une certaine manière, il s’agissait de remplacer des préoccupations sociales par des préoccupations liées à l’individu, à l’intime, à la peur de la mort. Ici, la solidarité s’est faite au contraire en ne se rassemblant pas pour éviter tout risque de contamination.

C’est cette rétractation forcée dont on ne mesure pas l’ampleur en termes de conséquences traumatiques au niveau du collaborateur. Les risques psycho-sociaux reliés à la quarantaine forcée montrent que le confinement a été majoritairement très mal vécu essentiellement pour des raisons de promiscuité subie. Promiscuité avec d’autres (d’où le surnom de « virus du divorce » donné au COVID) mais aussi promiscuité avec soi-même… dans une souffrance de solitude terrible.

Une réponse à ce traumatisme et une aide à la résilience doivent effectivement passer par un rétablissement distanciel, un rééquilibrage entre le proche et le lointain. En terme managérial, qui a tendance à apparaître comme un environnement impersonnel, cela se traduit par cette notion de « proximité ». Cependant, il ne s’agit pas de n’importe quelle proximité puisqu’elle ne repose pas sur une volonté de contrôle de l’individu mais au contraire une proximité « de liberté » et d’« autonomie ».

Il s’agit de rappeler par un encadrement bienveillant que le collaborateur n’est pas seulement une goutte dans l’océan systémique corporate mais qu’au contraire, il a une utilité et une responsabilité dans la bonne marche de la machine. Si le désengagement est si important notamment en France (11 points de perdu en termes d’engagement en un an par rapport aux années précédentes), c’est que le collaborateur ne trouve plus de sens à ce qu’il fait. C’est-à-dire qu’il n’a pas d’intérêt personnel, pas seulement en termes financiers, mais en termes de motivation profonde. Si ce besoin de justice sociale est viscéral dans notre société, il faut retrouver un sens plus grand à l’effort que suppose le travail.

C’est ce que Boris Cyrulnik rappelait quand il parlait de l’anecdote bien connue de Charles Péguy sur le chemin de Chartres. Rencontrant trois casseurs de cailloux, Péguy aurait posé la même question : « Qu’êtes-vous donc en train de faire ? » et aurait reçu trois types de réponses. Le premier aurait répondu que son travail consistait à casser des pierres. Le deuxième aurait expliqué qu’il gagnait sa vie et nourrissait les êtres qu’il aimait en travaillant en pleine nature. Le troisième aurait déclaré « Je bâtis une cathédrale ».

En dehors, bien entendu, de toute considération religieuse, le collaborateur français ne cherche pas seulement l’ambition d’une « cathédrale » d’un point de vue esthétique (je suis heureux de faire du beau). Il recherche avant tout des considérations sociales et éthiques qui le tirent vers le haut (je bâtis un endroit de communion sociale où tous ensemble, égaux, nous pourrons nous adresser à un même être).

Le manager de proximité se doit donc de retrouver le sens « noble » de la tâche, pas au sens « esthétique » (nous faisons un beau produit), mais au sens de l’utilité profonde du point de vue de l’apport à l’humanité (préservation du patrimoine, réduction de la pollution, meilleur vivre ensemble…). La proximité peut être faite à bon escient à condition d’y mettre un lien de conscience entre les acteurs économiques.

« Loin des yeux du manager… loin du cœur du management »

On aura beau faire autant de réunions Zoom, Gotomeeting, Teams, ou autre… cela ne permettra pas de resserrer les liens avec une proximité à la bonne distance, ni envahissante, ni trop lointaine. Ce lien de conscience avec le collaborateur est plus dans une attention réelle à l’autre pour que la qualité du présentiel soit redoublée pour pallier l’éloignement. Cela peut devenir un vrai facteur fort de résilience si cette proximité respectueuse remplace toutes les discussions informelles qui en fait font le maillage du tissu de l’environnement professionnel : discussions à la machine à café, à la cafétéria, lors de pauses cigarettes…

Tous ces moments informels sont fondamentaux pour mieux comprendre le fonctionnement de l’entreprise, comme le soulignerait M. Crozier dans son approche analytique stratégique des organisations. Ils manquent cruellement dans les réunions virtuelles où on se rencontre pour un but bien précis, un ordre du jour et très rarement pour seulement socialiser. L’entre-deux que permettait la pause au travail renvoyait à une vraie possibilité de proximité avec un lien sincère de conscience. On y retrouvait ce que contient le mot proximité dans son étymologie latine « proximitas » d’ « affinité », voire de « connivence ».

Il ne s’agit pas seulement d’ « écoute active » mais d’ « entente » au sens physiologique mais également psychologique du terme. La fausse proximité serait celle qui forcerait la rencontre virtuelle ou en présentiel dans une régularité de vitrine pour « dire qu’on se voit » donc « qu’on maintient le lien ».

La proximité respectueuse d’un manager juste serait celle qui peut s’épanouir sur ce qui a été entendu d’un collaborateur (par ses oreilles physiologiquement mais également ce que l’on a compris psychiquement par son cœur). Demander avec tact des nouvelles par rapport à des difficultés que le collaborateur vit, s’arrêter pour se pencher sur comment le collaborateur a VRAIMENT vécu le confinement, en englobant sur la résonnance que cela peut avoir avec son milieu familial (enfants, parents…) ou sur le poids de la solitude. Cela demande de prendre le temps d’une vraie connexion émotionnelle à l’autre, pas forcément longue mais dense, sincère et profonde.

Autant elle se fait naturellement dans ses moments précieux de pause en présentiel, autant il est compliqué de créer ce moment en distantiel, à part en surprenant l’autre par quelques messages décents qui ne sont pas déguisés pour demander une tâche supplémentaire et qui ne sont que des marques de connexion à l’autre.

C’est d’ailleurs pour cela que l’on retrouve à des postes de managers de proximité des quadras/quinquagénaires, non pas seulement pour éviter le jeunisme, ni comme une « prime à l’expérience ». Ce serait plutôt une « prime à l’apaisement » qu’arrive à provoquer ces générations qui rassurent et qui savent encadrer par une communication non violente les angoisses des générations Y et Z. Généralement sensibilisés au coaching, ces managers de proximité quadra/quinquagénaires usent des méthodes de négociation raisonnée pour permettre de contourner les comportements d’obstruction comme la passivité, l’agressivité et la manipulation.

Dans ces moments de crise, ces managers de proximité ont cependant tendance à oublier qu’ils sont à risque de « burn out » à force de se dédier à la bonne « entente » de l’autre et l’oubli de l’« entente » de soi-même…

Télétravail : le « Ravissement du LOL… »

Marguerite Duras aurait sans doute été contre cette correspondance avec son fameux roman « Le Ravissement de Lol V Stein » mais la proximité dont elle fait montre entre le narrateur et l’héroïne de son livre est proche d’un management « juste ». Il y est fait des descriptions parfois très externes, très froides et soudain on plonge dans un dialogue voire un monologue à l’intérieur même des préoccupations du personnage principal.

La question du télétravail touche à cette gestion de la proximité lointaine. Mon idée de « ravissement du LOL» n’est pas seulement une boutade, elle touche à cette nécessité de recréation du ravissement de ces moments informels pour LOLer ensemble, pour rire de façon sociale dans le contexte professionnel. On oublie que rester en télétravail pour certains signifient ne pas disposer de bureau, être en permanence sollicité par des enfants, ne pas avoir cette « disponibilité mentale » exclusive dont on a cruellement besoin pour travailler sur un dossier pointu.

Certes, le télétravail permet la proximité du travail à la maison en évitant les heures de trajet, mais là aussi cette proximité peut être envahissante si elle n’est pas bien gérée. Pour ce faire, créer des réunions de travail interactives, dynamiques, reliées à une participation systématique des collaborateurs grâce à des outils de sondages comme Mentimeter, Klaxoon ou autres… Faire des pauses systématiques d’au moins une demi-heure si la réunion dure plus de trois heures. Rappeler l’importance de la préservation de l’intégrité physique de la personne en proposant de faire (pourquoi pas ensemble) des étirements, des élongations en guise de « icebrakers », pour commencer ou terminer une réunion.

Le télétravail peut être compatible avec la résilience s’il fait partie de cette volonté de rapprochement de cœur avec le manager. On parle souvent d’empathie, c’est-à-dire du pathos relié à la capacité du manager de se mettre sur la même fréquence émotionnelle que le collaborateur. On parle moins de l’ethos, de la démonstration qu’il doit faire de ses qualités morales comme la vertu, la bienveillance ou la magnanimité. Pour cela, il n’y que les actes… et la communication. Pour préparer le monde d’ensuite, pour paraphraser Daniel Glattauer, la proximité du manager ne s’obtiendra pas en abolissant la distance, mais en la surmontant

Retrouvez les interventions de Guila Clara Kessous

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