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Ressources Humaines

Burn out love : comment ne pas mourir d’amour pour son travail ni perdre son cœur à l’ouvrage

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Burn out au travail versus amour et relations passionnelles ! Guila Clara Kessous, enseignante chercheur à l'Harvard University et coach certifiée qui accompagne de nombreux cadres dirigeants, nous livre un parallèle original entre ces deux mécanismes.

Le burn out au travail, qui se traduit en anglais par « se consumer » par l’épuisement professionnel, est souvent lié, selon l’OMS, à des facteurs d’ordre exogène comme la surcharge de travail, les problèmes relationnels, des conflits de valeurs ou un manque d’équité… En prenant le temps de se pencher sur les neurosciences, on se rend compte que le mécanisme hormonal et les neurotransmetteurs qui y sont associés ont des similitudes entre le cerveau du burn out et celui de l’amoureux transi…

Alors, est-ce que le burn out pourrait être considéré comme une « maladie d’amour » ? Existe-t-il un risque à être trop « engagé » dans son travail ? Sans minimiser les profondes souffrances de celui qui est touché par ce syndrome, essayons de comprendre s’il existe des terrains « travaillomanes » qui seraient susceptibles d’être des candidats privilégiés au burn out en raison d’un trop grand « amour » du travail.

Le « Jeu de l’amour et de l’engagement »

Le terme « burn out » est utilisé pour la première fois en 1974 par le psychologue américain Herbert Freudenberger. Ce médecin invente le mot, non pas dans le cadre de son travail, mais dans celui de son engagement bénévole pour une de ses passions : travailler dans une clinique new-yorkaise venant en aide aux personnes défavorisées. Certes, les facteurs de ce qu’il va désigner comme « burn out » sont exogènes : stress dû à un surnombre de tâches professionnelles, atmosphère et conditions de travail dégradées…. Mais l’« élan » de se « jeter » à corps et à cœur perdus dans cette noble tâche d’aide à autrui n’a jamais été souligné.

En 1981, lorsque la psychologue américaine Christina Maslach met au point le Maslach Burnout Inventory (MBI), un questionnaire encore utilisé aujourd’hui pour diagnostiquer le burn out, elle ne se focalise que sur les symptômes, une fois la personne « consumée », mais absolument pas sur la notion de départ de « débordement d’engagement ». En effet, l’inventaire se base sur des critères d’épuisement émotionnel (EE), d’accomplissement personnel (PA) et de dépersonnalisation (DD). Aucun ne mesure un trop plein d’engagement pour son travail à la racine même de cette faculté « d’oubli de soi » pour « tout donner à l’autre » que suppose l’amour.

Idéalement, il faudrait, en effet, mesurer la capacité de la personne à avoir développé une maturité nécessaire pour avoir un rapport « sain » au travail sans propension à se laisser « tomber » amoureux ou se laisser « dissoudre » dans la tâche à faire... On parle souvent de « redonner du sens » au travail. Mais qu’en est-il de ceux pour lesquels ce sens du travail est lié à un enjeu identitaire ? Pour ceux qui se projette tant dans cet « être aimé » professionnel au point de s’en oublier et de s’en consumer totalement ? Combien sont-ils à rougir, à pâlir, à la vue d’un email demandant un travail supplémentaire conséquent pendant le week-end et à en ressentir de l’excitation d’avoir été « choisi » pour le faire ? Combien sont-ils, les yeux rivés sur leur téléphone pour attendre impatiemment un signe, une sonnerie, un texto pour tel ou tel contrat, à toute heure de la journée ou de la nuit…

Matière grise et vie en rose

Quand on observe le cerveau d’une personne souffrant de burn out et d’une personne amoureuse, on se rend compte que les deux souffrent de certains « troubles neurologiques » similaires. En effet, certaines aires sont partiellement désactivées, comme le cortex préfrontal médian, qui joue un rôle dans le jugement critique. L’amour et le burn out rendent aveugles !

Quand on essaie d’aller plus loin sur la neuro-imagerie du burn out et de l’amour, on se rend compte que l’imagerie la plus proche du burn out n’est pas celle de l’« amour compagnon », mais bien de l’« amour passionnel ». L’« amour compagnon » renvoie à un attachement, un lien de confiance ou à de l’amitié pour la personne aimée. L’« amour passionnel » développe une forme de dépendance, voire d’addiction qui est relié à l’ocytocine. De la même façon, une trop grande dose d’ocytocine crée chez certains sujets souffrant de burn out une hypersensibilité qui déclenche une hyper empathie à propos de tout ce qui touche de près ou de loin au travail.

Tout devient une question de vie ou de mort quand il s’agit de l’objet aimé. Si le Dr Francesco Bianchi-Demicheli, psychiatre sexologue des Hôpitaux universitaires de Genève, en collaboration avec Stéphanie Ortigue, chercheuse à l'université de Syracuse, à New York, parlent d’« amour comme réseau distribué dans le cerveau », il en va de même pour le burn out qui touche certes des aires différentes, eu égard au sentiment de mal-être qu’il déclenche, mais qui va frapper directement à un dysfonctionnement de la zone d’attachement.

Quand on lit des témoignages de dirigeants sur la plateforme Partagetonburnout.fr, on est frappé de voir combien la personne qui retrace son expérience était prête à tout pour son travail qu’elle a pu mettre sur un piédestal. Le travail était devenu un absolu fantasmé suscitant une dévotion « chevaleresque » avec une promesse tacite de loyauté à toute épreuve. Comme dans la passion amoureuse, le burn out va venir soudain « déciller » les yeux de l’épris qui va se rendre compte du décalage incroyable entre la valeur réelle de son travail et celle idéalisée par un phénomène que Stendhal désignait comme « la cristallisation du sentiment amoureux[1] ».

S’ils sont tombés amoureux… les voilà surtout qui tombent de très très haut… « Tu m'as donné le plus précieux de tout : le manque. Il m'était impossible de me passer de toi, même quand je te voyais tu me manquais encore. » Dans le roman « La Plus que Vive » de Christian Bobin, ce désir de « plus » est particulièrement bien décrit en lien avec le fait de se consumer d’amour. Vouloir plus et toujours plus est relié à la dopamine, hormone qui existe dans les drogues les plus puissantes. Le burn out serait en quelque sorte un sevrage de la rupture puisque l’addiction était si forte qu’elle en vient à paralyser le système nerveux qui ne vit plus que pour l’activité dédiée au professionnel.

« La rupture amoureuse est très proche du sevrage de drogue, c’est un effondrement de ces circuits qui ne sont plus stimulés et stimulants, explique le professeur Michel Reynaud, psychiatre et addictologue à l’hôpital universitaire Paul-Brousse à Villejuif[2]. On éprouve donc le manque, ce que ressentent les drogués, cette espèce de crispation intérieure, d’angoisse, cette impression de ralentissement, de vie triste, grise, sans plaisir ni saveur. » Des symptômes qui ne sont pas sans rappeler le burn out, devenu « rupture amoureuse professionnelle ». « Les passionnés soulèvent le monde, et les sceptiques le laissent retomber » écrit Albert Guinon, célèbre dramaturge. Après avoir soulevé des montagnes, avoir réussi à tant accomplir sur le plan professionnel, à faire tant de sacrifices sur le plan personnel, le salarié victime de burn out s’effondre pour s’enfoncer dans le scepticisme.

Petit dictionnaire du burn out amoureux

Il est tentant d’établir un petit lexique reprenant les différentes expressions reliant le burn out aux grandes figures amoureuses. Cela éclaire aujourd’hui sur les nuances des différentes appellations de l’épuisement au travail :

  • Burn out = "Phèdre" de Racine : littéralement, celui qui est « calciné » par son amour du travail. Tout comme le personnage de Phèdre, celui qui est en burn out a tout donné, il est épuisé et il réalise que ce qu’il croyait être un enjeu identitaire relié au professionnel n’est en fait que très relatif. Il a mis non seulement du cœur à l’ouvrage mais tout son cœur à l’ouvrage. Et du coup, il a perdu son cœur en perdant l’ouvrage.

  • Bore out = Frédéric dans « L’Education sentimentale » de Flaubert. C’est celui qui rêve à l’amour mais qui s’ennuie profondément. Plus le temps passe, plus il se désengage (« to bore » en anglais désigne l’ennui). Il voit le travail passer sans avoir envie d’y participer. Et puis, il aura peut-être un sursaut, comme Frédéric à la fin du roman, mais le temps qu’il se décide, sa bien-aimée a les cheveux blancs. Celui qui est victime de bore out résiste plus longtemps que celui qui est en situation de burn out.

  • Brown out = Rhett Butler dans le film « Autant en emporte le vent ». Celui qui se « refroidit » en fin de course. Après avoir beaucoup donné à son travail, le voici déçu, sur la pente du désengagement. En anglais un « brown out » désigne, dans le domaine électrique, une baisse de tension afin d’éviter la surchauffe. A force de courir, il y a une profonde perte de sens au point où l'on s’écrie, comme l’acteur Clark Gable à la fin « Frankly, my dear, I don’t give a damn » : « Franchement, mon cher [travail], je m’en contremoque ».

Du « bien être » à « l’être bien »

En définitive, ce rapprochement entre burn out et amour invite à avoir une réflexion préventive et à plus de vigilance en termes de dépistage. Si on parle souvent de « bien-être » au travail, de façon assez dépersonnalisée, on s’attache peu à « l’être bien », c’est-à-dire aux facteurs précis et individualisés qui permettent à chaque individu de bénéficier de conditions optimales.

Le burn out serait-il une maladie du don comme le suggère Pascal Ide[3] ou Boris Cyrulnik[4] ? Nous n’allons pas jusqu’à dire qu’il faudrait inclure l’échelle de la passion amoureuse, telle que l’ont établie la psychologue Elaine Hatfield et la sociologue Susan Sprecher, la célèbre « Passionate Love Scale », pour établir des questionnaires de ressources humaines. Toutefois, il semble nécessaire de comprendre les facteurs exogènes qui peuvent aggraver cette dangereuse « pente amoureuse » qui peut mener à une « passion dévorante » et malsaine au niveau professionnel.

Un mauvais signal managérial peut donner à croire que cette tâche supplémentaire épuisante peut « sauver le département » GRACE à ce pauvre collaborateur, qui se sent alors vu comme un sauveur, un élu. C’est pourquoi d’ailleurs, il acceptera d’alourdir encore davantage son emploi du temps déjà surchargé. Céline Mas[5], auteure sur le burn out et spécialiste de l’émotionnel, ajoute qu’il serait bon que les entretiens annuels ne soient pas « uniquement appréhendés sous le prisme de la performance rationnelle, mais aussi que l'on questionne l'adéquation du salarié avec son environnement. A savoir, lui demander : "Vous sentez-vous à votre place ? Reconnu à votre juste valeur ?" ». Avoir une grille de KBIs (Key Behavioral Indicators), aux côtés des KPIs, pour être conscient et vigilant.

Retrouvez les interventions de Guila Clara Kessous

[1] « De l’amour », Stendhal, 1822. « En un mot, il suffit de penser à une perfection pour la voir dans ce qu'on aime »
[2] « L’amour est une drogue douce », Michel Reynaud, Flammarion, 2013
[3] Le Burn Out. Une maladie du don, Pascal Ide, Quasar Editions, 2015
[4] Boris Cyrulnik va jusqu’à mentionner le burn out comme une maladie du trop « grand don de soi », qui frappe en particulier les jeunes mères à leur retour au travail.
[5] Le Jour où Maya s’est relevée, Céline Mas, Leduc, 2019. Version audio disponible chez Frémeaux

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