Sorry, you need to enable JavaScript to visit this website.

Mode et économie de l'usage

Un mariage impossible ?

Mode et économie de l'usage H1 Mode H2

Si vendre la mode pour sa fonction ou son effet utile apparaît comme un horizon (encore) improbable, permettre à des clients d’accéder à la mode en louant des vêtements, des accessoires, etc. est une réalité plus concrète depuis quelques années.

Téléchargez l'étude

Mode étude

et retrouvez les 5 cas d'entreprises
en
bas de page

Par économie de l’usage, on entend le fait d’accéder à un bien plutôt que le posséder. Mais il s’agit aussi d’accéder à la finalité d’un article de mode (fonction ou effet utile). On parle aussi de mode en tant que service (« fashion as a service »).

S’abonner à une plateforme de location de vêtements pour accéder à un vestiaire virtuel, payer l’usage d’un appareil d’autoproduction de fonds de teint en fonction de l’utilisation réelle, s’abonner à un logiciel de simulation pour changer l’apparence d’une chemise ou d’un T-shirt lors de réunions visio, disposer de services à partir d’une chaussure ou d’une valise connectée… Ce sont là quelques perspectives auxquelles la technologie et le design des objets donnent corps et qui nous font entrer dans l’économie de l’usage.

Pour décrypter ces évolutions, la Chambre de commerce et d’industrie de Paris Ile-de-France a créé un groupe de travail piloté par Isabel Ribeiro, General Manager France chez Paul Smith, et associant chefs d’entreprise, fédérations professionnelles, agences de conseil, écoles de mode et experts de la mode.

D’un ensemble d’auditions réalisées dans ce cadre, il ressort trois grands enseignements : la location permet d’entrer progressivement dans une logique d’usage, le potentiel d’augmentation ou transformation de l’usage d’un article de mode est inexploité et les services explosent avec les technologies et la réinvention
du « retail »

La location permet d’entrer progressivement dans une logique d’usage

Depuis la pandémie, les acteurs qui offrent des solutions d’usage dans l’univers de la mode sont de plus en plus nombreux. Des start-up se constituent ainsi en plateformes d’interface avec le client et vont à la rencontre des marques. Elles proposent la location de vêtements et d’accessoires par abonnement ou sans abonnement (« à la demande »).

schéma 1

Plusieurs offres ont été examinées et cinq entreprises – qui ont été auditionnées par le groupe de travail - font l’objet de cas d’usage dans un supplément à l'étude.

  • 3 dans la mode féminine : Les Cachotières, Studio Paillette et Une Robe Un Soir (Les Cachotières a, toutefois, cessé son activité en avril 2023)
  • 1 dans la mode masculine et féminine : Le Closet
  • 1 dans la mode pour bébés/enfants en bas âge : Lili & Jude

On voit que la location a plus de chances de réussir sur les segments à valeur forte mais à usage faible, autrement dit les vêtements et accessoires de marque pour des événements occasionnels.

On voit, en revanche, que les solutions d’usage sont difficilement applicables aux segments du luxe et de l’ultra-luxe qui reposent sur des notions d’accessibilité et de rareté. Dans le luxe, associer la mode à l’utilité/fonctionnalité est un oxymore !

On observe quelques exceptions dans le domaine des accessoires : location de sacs à main ou abonnement pour renouveler le bracelet d’une montre. On voit aussi que, dans d’autres secteurs du luxe (automobile par exemple), des constructeurs italiens proposent des modèles d’abonnement pour attirer les jeunes consommateurs, ce qui qui donne à réfléchir.

schéma 2 mode
 

Les segments qui peuvent développer la location semblent (encore) assez limités. Cela s’explique aussi par le fait que l’équation économique est relativement complexe. Il existe de considérables « barrières à l’entrée » sur ces modèles d’affaires : exigence logistique, impérative rotation des stocks et besoin de trésorerie, etc. De fait, les investisseurs semblent moins intéressés par ces modèles qu’avant la pandémie.

schéma 3
 

En outre, l’évangélisation du client reste relativement lente : la classe d’âge concernée par l’offre des plateformes porte sur les 25-35 ans ; leur motivation principale est la possibilité d’accéder à des articles auxquels ils ne pourraient accéder en propriété. Les métropolitains ayant une problématique d’espace sont souvent tentés par la location. Les clients déjà sensibilisés à l’enjeu environnemental sont aussi attirés par ces offres qui, en augmentant l’usage d’un article de mode, se veulent circulaires. Par ailleurs, les clients qui ont des attentes en termes de stylisme peuvent trouver une réponse dans les modèles de curation.

Enfin, ce modèle de la location soulève plusieurs problèmes environnementaux : il peut générer des effets rebond comme on le voit avec la seconde main : sous prétexte que le vêtement est d’occasion, les clients multiplient leurs achats. Au plan logistique, le modèle génère deux fois plus de transport (aller et retour) qu’un modèle de vente.

Surtout, la location interroge l’usage mais insuffisamment les conditions de production (amont de l’usage) même si, par les remontées clients, les plateformes informent les marques des limites des vêtements en termes de durabilité. Finalement, renouvellement et soutenabilité sont antinomiques, ce qui conduit certains acteurs à proposer la location sans abonnement.

Plus largement, les modèles d’usage se heurtent au fait que la mode est un univers d’aspirations qui résiste à toute rationalisation. Pour que la prochaine révolution, après celle de la seconde main, soit la location (avec ou sans abonnement), il faudrait que ces modèles parviennent à dépasser ces limites.

Le potentiel d’augmentation ou transformation de l’usage d’un article de mode est inexploité

Les technologies alliées au design des objets élargissent les possibilités d’augmenter un article de mode ou d’en changer l’usage : que l’on songe aux tissus fonctionnels (autocicatrisants, ignifuges, thermorégulateurs, cosméto-textiles), à la réalité virtuelle (miroirs intelligents pour s’imaginer dans telle tenue ou telle apparence) et à l’Internet des objets (vêtements et accessoires connectés), les opportunités sont considérables.

De même, la connectivité a déjà largement augmenté les produits ou changé leur l’usage.


schéma 4

On le voit dans la maroquinerie où l’Internet des objets peut apporter des fonctionnalités supplémentaires à une valise ou un sac à dos : traçabilité, protection contre le vol des données, etc. De même, une chaussure connectée peut apporter une solution de suivi médicalisé.

10 milliards de produits dans les industries de l’habillement, des accessoires et de la chaussure basculeraient actuellement dans le numérique.

L’enjeu environnemental ouvre aussi un champ d’opportunités remarquable. Quel parent n’a pas rêvé d’un vêtement qui indique quand son nouveau-né ou son enfant prend froid ? Quel usager n’a pas rêvé pas d’acheter, lors d’extrêmes chaleurs, la capacité d’un vêtement à le rafraîchir plus que le vêtement lui-même ? On dispose ainsi de solutions qui génèrent de l’énergie et peuvent répondre à des enjeux comme l’autonomie énergétique.

Mais les opportunités ne sont saisies que par quelques secteurs : santé, sécurité et protection, sport, etc. s’agissant, par exemple, des tissus fonctionnels. Surtout, les vêtements qui bénéficient de fonctionnalités ou de services supplémentaires restent vendus comme des produits et non comme des services ou des solutions.

Pour réussir dans cette voie, il importe de : 1) partir des usages et 2) faire de la technologie un moyen et non une fin et 3) travailler sur le design des objets permet de définir le besoin et de créer le marché.

On comprend alors pourquoi ce sont des acteurs technologiques qui réalisent cette mutation comme le montre l’exemple de Byborre, entreprise de mode, qui a développé une plateforme logicielle. Il est malaisé, pour des acteurs de la mode, de quitter cet univers pour entrer dans d’autres secteurs d’activité au risque de « disrupter » la marque.

Ces acteurs de la technologie sont plus à l’aise pour développer un design centré utilisateur sans risquer de diluer la création. Ces nouvelles écoles de pensée associent création, usage-client et enjeu environnemental ; elles créent des vêtements à partir des données. La création récente, par l’éditeur de logiciels Adobe, d’une robe qui change de couleur selon les désirs de la personne qui la porte donne une idée du changement qui peut s’opérer quand des sociétés de logiciels créent des vêtements.

Le sujet de l’usage pourrait amener l’univers de la mode à mi-chemin entre futurs souhaitables et futurs improbables.

Les services explosent avec les technologies et la réinvention du « retail »

Parallèlement, les services associés aux articles de mode connaissent un puissant développement, quel que soit le segment. Avec les technologies, on voit éclore un ensemble de services qui accompagnent le client de bout en bout de son parcours, y compris en explorant ses besoins cachés.

Ces technologies sont pertinentes pour réinventer un « retail » plus expérienciel ou plus personnalisé : le metavers a ainsi le pouvoir de fluidifier l’expérience en magasin (au moyen de « pass » par exemple) ; l’intelligence artificielle apporte de nouveaux services en magasin.

Dès lors, les services ne viennent pas seulement servir directement ou indirectement la mode, ils se développent autour de la mode comme le montre cette typologie.

schéma 5 mode


Reste que certains services qui existent depuis longtemps dans le luxe sont parfois difficilement à généraliser à tous les niveaux de gamme.

Par ailleurs, plus on vient servir le client, plus on risque de s’éloigner de la création.

Enfin, le service sert de plus en plus de fondement au produit. La valeur se déplace vers un mix « produit-service » qui vient interroger, là encore, l’ADN de la mode.

En conclusion

L’économie de l’usage n’est, certes, pas la réponse attendue à tous les enjeux auxquels l’univers de la mode est confronté. Mais elle amène les différents acteurs à s’interroger, en particulier au regard des enjeux environnementaux.

A un moment donné, comme le souligne la créatrice Marine Serre, on doit « questionner l’essence du vêtement [et de la mode], pour lui redonner du sens ».

 

Pour en savoir plus :

Sur le même sujet :

 

Groupe de travail : Isabel RIBEIRO (Présidente), Muriel BARNEOUD, Élisabeth BAUR, Rachel CHICHEPORTICHE, Adeline DARGENT, Amandine DUBESSEY, Thomas DELATTRE, Brigitte GOTTI, Nadège LABADIE, Pierre-François LE LOUET (représenté par Maxime COUPEZ), Nelly RODI et Thomas TCHEN ainsi que Valérie AILLAUD et Hélène ZWANG

Rédacteur : Corinne VADCAR

novembre 2023

Partager
/v